Jacques Chirac s'en est pris mardi avec virulence à l'indifférence de la Commission européenne vis-à-vis des problèmes sociaux et a plaidé à nouveau avec force pour l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne. Faisant sa rentrée médiatique un mois après son accident vasculaire du 2 septembre, à l'occasion du 24e sommet franco-italien, le chef de l'Etat s'est montré très combatif sur l'Europe, au centre de nombreuses polémiques en France. “Les citoyens ont le sentiment - en France, mais ailleurs aussi - que la Commission ne défend pas avec suffisamment de détermination et d'énergie leurs intérêts et, en particulier, leurs intérêts économiques et, par voie de conséquences, les problèmes sociaux”, a dit le président lors d'une conférence de presse conjointe avec le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi. La Commission avait été saisie le 20 septembre par M. Chirac pour tenter de faire fléchir le géant américain de l'informatique, Hewlett-Packard, qui prévoyait de supprimer 6 000 emplois en Europe dont 1 240 en France. “Est-il légitime et normal que la Commission se désintéresse d'un problème de cette nature ?”, a demandé M. Chirac, après que le président de la Commission, José Manuel Durao Barroso, eût affirmé qu'il n'était “pas dans la compétence de la Commission d'empêcher une entreprise de licencier”. “Ce n'est pas normal”, a-t-il martelé, soulignant que “l'une des raisons qui expliquent le désaveu actuel de l'Europe, c'est ça”. Le non à la Constitution européenne au référendum du 29 mai a été, en grande partie, alimenté par la crainte des Français d'une Europe “libérale”, remettant en cause le modèle social français et bradant les services publics. Après le double non français et néerlandais qui a plongé l'Europe dans la crise, les 25 doivent se retrouver pour un sommet informel les 27 et 28 octobre près de Londres, afin de tenter de réconcilier l'Europe et ses citoyens. Le chef de l'Etat s'est aussi montré très offensif sur la question turque, au lendemain de l'ouverture des pourparlers historiques d'adhésion d'Ankara à l'UE. M. Chirac est personnellement favorable à l'entrée de la Turquie et n'a pas varié de cap en dépit de l'opposition de l'UMP et des ténors de la droite qui proposent un “partenariat privilégié” avec Ankara. S'adressant indirectement à ces derniers, il a demandé : “qui vous permet aujourd'hui de dire ce que les Français voudront dans 15 ans ? Au nom de quels principes quelqu'un s'arroge le droit de parler au nom de nos enfants, ou de nos petits-enfants ?”. Les Français seront en effet consultés par référendum à l'issue des négociations - “une affaire de 10 à 15 ans minimum” - et auront donc le dernier mot. Avec flamme, il a longuement exposé les raisons de dire oui à Ankara, une détermination qui lui a valu les éloges de Silvio Berlusconi saluant sa “position courageuse”. M. Chirac a, notamment, fait valoir que la Turquie risque de basculer “dans l'intégrisme” si on lui claque la porte de l'Europe. Il a aussi réitéré que l'adhésion turque étendrait “la paix et la démocratie” et qu'Ankara apporterait “une puissance considérable” à l'UE, face aux autres grands pôles régionaux dans le monde.