Sitôt sortis de chez le président de la République, les dirigeants du FFS ont essuyé une avalanche de critiques venues essentiellement de la base militante. Après avoir pu difficilement dépasser sa crise interne, le parti risque de faire face à une nouvelle fronde. La rencontre-surprise des membres de la direction du FFS avec le président Abdelmadjid Tebboune continuait, hier encore, d'enflammer et d'alimenter les réseaux sociaux. Entre l'expression d'une profonde déception pour les uns, la critique la plus acerbe et la démarcation de cette démarche, fût-elle initiée par le Président lui-même, pour d'autres, le flot de commentaires n'a pas cessé et continue d'alimenter la polémique. D'anciens et actuels cadres et militants, des activistes du Hirak comme des adversaires politiques du parti ou de simples citoyens ne voient dans cette entreprise qu'une "dérive de trop" à ne jamais cautionner. Ils sont, en effet, nombreux à arguer que cette rencontre s'inscrirait, pour le pouvoir, dans la poursuite de sa démarche contre-révolutionnaire visant à "normaliser la situation à la veille du deuxième anniversaire de l'insurrection populaire du 22 février" et participe, pour la direction du FFS, dans la perspective d'une "entrée au gouvernement" sinon d'"une éventuelle participation aux prochaines élections législatives". De nombreuses voix sont tellement convaincues, que même le communiqué diffusé par le FFS pour expliquer la teneur de cette rencontre d'El-Mouradia ne semble pas avoir eu l'effet escompté. Pourtant, dans ce communiqué lu à leur sortie du palais présidentiel, les deux représentants du FFS, Youcef Aouchiche, premier secrétaire du parti, et Hakim Belahcel, membre de l'instance présidentielle, ont pris soin de lever toute équivoque en soulignant que leur rencontre visait plutôt à "sensibiliser le chef de l'Etat sur la nécessité de prendre des mesures d'apaisement immédiates pour retrouver la confiance des Algériens", à savoir la libération des détenus politiques et d'opinion, l'ouverture des champs politique et médiatique, et aussi le mettre en garde sur les risques de division du pays en cas de fort taux d'abstention aux prochaines échéances électorales. Mais ces explications ne semblent pas avoir été entendues de la même façon par l'instance présidentielle du FFS dont certains membres sont revenus à la charge en fin de journée pour expliquer le sens politique de cette démarche. C'est le cas, entre autres, de Hakim Belahcel qui s'est demandé, dans une réaction publiée sur son compte, si par cette rencontre, la direction du parti a enfreint la ligne politique originelle du FFS, ou quel autre crime impardonnable et innommable il a commis pour mériter les affres de cette salve d'attaques et de reproches puisqu'il n'a fait que répondre favorablement à une invitation après une déclaration d'appel au dialogue pour débattre de la crise multiforme nationale. Pour Belahcel, il est plutôt clair qu'"en réalité, la rencontre a énormément bousculé et dérangé les promoteurs et les défenseurs de l'immobilisme politique dans le pays". Pour lui, il s'agit de ceux-là mêmes qui ont reproché aux dirigeants successifs du FFS, leur attachement au vrai dialogue inclusif, transparent et responsable. Autrement, a-t-il argumenté, cette rencontre s'inscrit, "en adéquation et en stricte cohérence avec l'effort historique du FFS depuis des décennies, à créer les conditions favorables pour convaincre les tenants du pouvoir à s'inscrire dans un processus de sortie de crise à moindre coût et de manière urgente", ainsi que l'instauration d'"un dialogue global qui devrait concerner toutes les parties qui peuvent et doivent jouer un rôle déterminant pour construire un compromis politique historique pour sauver l'Etat algérien de l'effondrement". Tout en mettant l'accent sur "la transparence" et " le caractère public" de la rencontre, ainsi que sur l'attachement historique du parti à son autonomie d'action et de décision, Hakim Belahcel estime que le FFS "n'a rien à démontrer et encore moins à se reprocher" puisque ses objectifs primordiaux, rappelle-t-il, sont "la construction d'un consensus politique national pour trouver des issues salutaires à l'impasse suicidaire algérienne". Dans la foulée, ce membre de l'instance présidentielle du FFS a souligné que c'est ce que le parti a toujours fait à chaque fois qu'il s'agit de l'intérêt suprême de la nation et d'éviter le pire au peuple. "Le parti a souvent transmis aux tenants du pouvoir, ses préoccupations et ses propositions politiques", a-t-il rappelé citant ce qui a été fait en 90, en 99, en 2002 puis en 2014... Convaincu de la justesse de la démarche, Belahcel affirme que "le FFS continuera, malgré les entraves et les menées faites de parasitage et de brouillage, à plaider pour une sortie de crise concertée et pacifique, loin des scénarios ténébreux des aventuriers de tous poils". Dans une autre réaction intitulée "Coup de gueule", Samir Ghezlaoui, secrétaire national du FFS, a estimé que dans cette affaire "comme d'habitude, le FFS a tort... d'avoir raison avant les autres !". "Le courage politique, surtout pour un parti d'opposition, c'est d'exprimer et d'assumer des positions difficiles et des démarches même lorsqu'elles sont impopulaires auprès d'une partie ou d'une majorité de l'opinion publique", a-t-il considéré avant de souligner que ce n'est pas la première fois que le FFS prend des initiatives qui font polémique et rencontre des présidents sans être jamais "ramené dans le giron du régime". "Elles ont toujours fait de lui un parti de proposition par excellence, certes trop souvent à contre-courant mais sans perdre de vue ses idéaux et son cap fondateur", a-t-il développé tout en rappelant les épisodes les plus polémiques de la vie du FFS tels l'accord de juin 1965 avec le FLN, la rencontre de Londres entre Hocine Aït Ahmed et Ben Bella en 1985, le mémorandum adressé au défunt président Chadli en 1990, le contrat de Rome en 1995, la rencontre de Djedaï avec Zeroual en 1998 et le mémorandum adressé à Bouteflika et aux généraux en 2001, la rencontre de Bettatache et Ouyahia en 2014 et bien d'autres encore. Des arguments qui ne semblent pas faire consensus au sein du parti. " Notre combat est contre un régime totalitaire, pas pour une compromission. Le FFS est un instrument de lutte pas un objectif en soi", a réagi sur son compte facebook, l'avocate, Nabila Smaïl. " Le pouvoir, en recevant deux personnages du FFS, croit avoir réussi à détourner l'attention sur la révolution. Nous sommes le peuple, nous sommes la révolution. On vous donne l'appareil, laissez-nous les idéaux et la patrie", a-t-elle encore ajouté. De là à dire que cette rencontre pourrait faire désordre au sein du plus vieux parti d'opposition, il n'y a qu'un pas...