Si elle a profondément déstabilisé le système du pouvoir, l'éruption du 22 Février a complètement remodelé le paysage politique national. Le Hirak est devenu un acteur central poussant à la marge les partis. Deux ans après, ces derniers peinent à revenir pendant que ceux du pouvoir sont totalement disqualifiés. Alors que le mouvement populaire entame demain son troisième vendredi de mobilisation réclamant un changement radical du système politique, le pouvoir campe toujours sur ses positions. Certes, le chemin est encore long pour les militants de la démocratie, mais force est de constater que l'irruption de la révolution pacifique a fortement remodelé le paysage politique dans le pays. Les partis alliés du système Bouteflika se sont comme terrés depuis l'avènement du Hirak qui n'a eu de cesse de les vilipender lors des manifestations populaires. Ces formations ont été forcées à une longue hibernation. Et dans ce contexte, on ne pas dire que ce vide créé a été comblé par d'autres formations politiques. Le paysage politique donne l'impression d'être entré dans une phase de léthargie profonde. Et ce ne sont certainement pas les quelques activités timides organisées de temps à autre qui vont démentir cet état de fait. Face à un Hirak et une partie de la classe politique qui persistent à réclamer un changement radical du système, le pouvoir reste droit dans ses bottes et maintient son agenda politique. Ainsi, après avoir organisé l'élection présidentielle et le référendum constitutionnel, le cap est mis sur des élections législatives anticipées malgré l'opposition d'une partie de la classe politique et contre la volonté de pans entiers de la société. Toutefois, et pour le moment, aucune échéance n'a été fixée pour la concrétisation de ce programme. Les autorités n'annoncent toujours pas de date claire et définitive pour le déroulement de ces élections. De plus, le chef de l'Etat, qui en a fait l'annonce dans son dernier discours à la nation, a demandé lui-même à compléter le projet d'ordonnance portant sur le code électoral. S'agit-il d'une volonté de gagner encore du temps ? Se donne-t-on une nouvelle issue ? Rien n'est clair pour l'instant. Mais pour l'heure, tout indique que le pouvoir s'agrippe à sa seule feuille de route. En face, la classe politique et le Hirak restent divisés sur la question. Si le mouvement populaire reste toujours dans la revendication – malgré l'existence de propositions isolées parmi certaines de ses figures –, la classe politique est aux aguets. En dehors des démocrates, constitués essentiellement dans le PAD, qui refusent pour l'heure de s'arrimer au projet électoral, les autres formations donnent l'impression de se préparer à un repositionnement. Les partis islamistes, notamment le Mouvement de la société pour la paix (MSP) et le Mouvement El-Bina, penseraient peut-être qu'il y a une chance à saisir avec la disqualification populaire des anciens partis de l'Alliance présidentielle et le boycott des démocrates pour se frayer un chemin et s'emparer ainsi du parlement – et du gouvernement – lors des élections législatives anticipées prévues. Surtout que du côté du pouvoir, seuls les résidus des organisations de masse et une certaine clientèle du système, rameutées autour de ce qui est pompeusement appelé "société civile", tentent une percée avec l'initiative "Nida el Watan". Mais l'activisme de Nazih Benramdane, le porte-parole de ces associations satellitaires et officiellement conseiller du président de la République, semble avoir déjà montré ses limites, notamment lors du référendum constitutionnel ; sa campagne menée tambours battants n'a pas fait adhérer les masses. Un scénario qui risque de se reproduire lors des prochaines échéances électorales, surtout qu'en plus de l'impasse politique, les problèmes socioéconomiques qui s'exacerbent avec le prolongement de la crise sanitaire risquent de grossier les rangs des partisans du boycott. A cette ambiguïté s'ajoute l'ambivalence de la position du Front des forces socialistes (FFS). Le parti avait rejoint le mouvement populaire et apporté son soutien total aux revendications des manifestants, mais en acceptant de rencontrer le chef de l'Etat, récemment, sa direction a suscité une tempête au sein de la formation. La base militante a vertement réagi à cette entrevue la considérant presque comme une trahison par rapport à la ligne traditionnelle du parti. Mais la direction actuelle n'exclut pas de participer à d'autres rounds de dialogue et ouvre même une brèche pour une éventuelle participation à la prochaine élection législative. Cette position est inconfortable pour le FFS qui semble être tiraillé entre une fermeté d'une bonne partie de sa base qui ne veut pas se détourner du Hirak et une partie de la direction qui veut jouer la carte de la realpolitik. Cette position dans laquelle se trouve le parti cher à Aït-Ahmed ne diffère pas de celle des autres formations politiques qui semblent tétanisées face au retour en force du mouvement populaire. Elles ne sont pas sans savoir que le réveil du Hirak risque de peser fortement sur la participation aux prochaines échéances électorales. Dans ce cafouillage politique, le pays attend une sortie d'une crise qui, en tardant, peut mener vers l'impasse. Ali Boukhlef