Auteur de la pièce théâtrale "Djeha" en arabe algérien en 1926, Allalou a révolutionné le 4e art en le rendant plus accessible et populaire. Le 30 mars marquait le 119e anniversaire de la naissance de Ali Sellali alias Allalou, père fondateur du théâtre algérien. Si pour beaucoup ce nom est méconnu, Allalou est le premier à avoir lancé une troupe théâtrale du nom de Zahia. En 1926, le 4e art était joué en arabe classique par des troupes égyptiennes et syriennes qui faisaient le bonheur d'un public averti. Et la magie de Sellali s'opère un certain 12 avril de la même année, quand il présente la pièce Djeha en arabe algérien. Il séduit alors une autre frange de la société : les couches populaires, car il parle leur langage, "une langue accessible à tous, et une reconnaissance de soi, le conduisant chaque fois à une sorte d'extériorisation bienfaisante", lit-on dans la quatrième de couverture de L'Aurore du théâtre algérien (1926-1932) (mémoires de Ali Sellali, éditions Apic, 2011). À propos de cet homme de culture qui a su s'imposer et révolutionner le théâtre, sa fille Fatiha Sellali nous a confié qu'il était autodidacte et a touché à de nombreuses disciplines : auteur, compositeur, costumier et comédien : "Joueur de luth, papa s'est initié à la musique andalouse sous la direction d'Edmond Yafil. Il s'est produit dans des concerts organisés par la formation musicale El-Moutribia." À cet effet, il commence à connaître le succès grâce aux compositions jouées sur les planches, une étape de sa vie qui le conduit au théâtre. "Quand mon père a présenté la pièce Djeha, les spectateurs de toutes classes confondues étaient présents. Alors, il a continué dans ce registre et a écrit un total de sept pièces, notamment Le Pêcheur et le Génie, qui ont connu un succès monumental", a informé Fatiha Sellali. Et de poursuivre : "Sa troupe a réalisé une tournée nationale et s'est produite dans plusieurs villes du pays. D'ailleurs, c'est Allalou qui a lancé Rachid Ksentini et Mahieddine Bachtarzi – rencontré à travers Edmond Yafil – ; ils ont commencé en jouant avec lui dans ses pièces." À ce sujet, Mme Sellali a insisté sur le fait que son père soit le pionnier dans ce secteur : "Le théâtre algérien a connu un essor grâce à Bachtarzi, mais c'est Allalou le père fondateur. Mahieddine l'avait même affirmé à la télé et dans ses mémoires." Malgré le succès fulgurant, Ali Sellali a quitté la scène artistique en 1936 (et non en 1932), car il devait s'occuper de sa famille. "Papa voyageait énormément et nous étions une famille nombreuse ; entre sa passion et ses enfants, le choix était clair", a-t-elle signalé. Suite à cette "retraite anticipée", il travaille dans les tramways algériens : "Après avoir quitté le théâtre, il était, certes, frustré, mais il est resté proche de cet art. Il était en contact avec, notamment, Mohamed Ouniche, Ali Abdoun, Saïd Hilmi... Aussi, il rencontrait ses amis au kiosque de Boualem Titiche, situé à la rue Ben-M'hidi", a-t-elle raconté. Concernant l'homme et le père qu'il était, Fatiha Sellali s'est remémorée avec tendresse ce papa attentionné et affectueux avec ses enfants. "Nous sommes onze frères et sœurs, et il était très strict dans notre éducation. Il nous a tous poussés dans nos études ; il choisissait nos lectures, mais il refusait catégoriquement qu'on fasse du théâtre, de la musique ou autre activité culturelle", confie Fatiha. Et d'ajouter : "Il ne voulait pas entendre parler des activités artistiques. Il disait souvent : 'Le théâtre ne nourrit pas son homme'." Décrit comme un homme pieux et d'une grande culture générale, il passait ses journées à lire des livres de littérature et le Coran, et il a laissé un trésor incommensurable à sa famille : une bibliothèque qui comporte plus de 2 000 ouvrages. Sur la question des archives, sa fille nous a confié qu'en 1945 il avait écrit une pièce pour Bachtarzi intitulée Achour et ses Frères, qui devait être jouée par Kelthoum. Trente ans plus tard, "Bachtarzi le relance en 1975 pour qu'elle soit produite par une troupe de Constantine, et mon père est surpris de découvrir des changements dans le texte et le titre qui devient La Dot. Il décide alors de se retirer et de ne pas y participer". Cette mésaventure a bouleversé Allalou, qui décide de "brûler" tous ses textes. Décédé en 1992, les institutions culturelles semblent l'avoir complètement oublié ! "Ce qui est paradoxal, le gouvernement français lui rendra hommage en attribuant son nom à une rue. Tandis qu'en Algérie, j'ai écrit de nombreux courriers aux ministres pour des hommages et rien n'a été fait à ce jour", conclut Fatiha Sellali.