Comme depuis la reprise des marches, ils étaient des dizaines de milliers de citoyens à prendre part à la marche de vendredi. Ni l'annonce faite par la justice quant à un attentat qui ciblait le Hirak et déjoué par l'armée ni encore celle concernant le nombre important de listes en préparation pour les élections législatives du 12 juin prochain ne semblaient, hier, ébranler un tant soit peu la détermination de la rue à Tizi Ouzou à poursuivre sa révolution, entamée le 22 Février 2019, pour le changement radical du système. Comme depuis la reprise des marches, ils se comptaient, encore hier, par dizaines de milliers ceux qui ont pris part à ce 111e vendredi de l'insurrection populaire au centre-ville de Tizi Ouzou. À 13h, l'heure habituelle du début de rassemblement des manifestants sur l'esplanade du stade du 1er-novembre, les quelques fourgons de police stationnés aux abords, durant toute la matinée, ont déjà quitté les lieux. L'ambiance tranche, ainsi, radicalement avec celle qui règne les mardis dans ce même endroit où un dispositif monstre est à chaque fois déployé pour empêcher, et réprimer, si nécessaire, la poignée de manifestants qui tentent de rallumer la flamme estudiantine. À peine les premiers manifestants regroupés sur les lieux, drapeau national, emblème amazigh et différentes pancartes commencent à être brandis. Dans un climat de sérénité favorisée par l'absence du moindre signe de répression à venir et aussi par la température clémente, la foule, composée d'hommes et de femmes, venus des quatre coins de la wilaya, commence à enchaîner sur place les slogans. Cependant, au loin, un gros bourdonnement est audible. L'imposant groupe, qui a pris pour habitude de rejoindre la marche à la sortie des mosquées, s'approche en sens inverse, en provenance du centre-ville. 13h30, on sonne le tocsin, la marche s'ébranle aux cris de "Ulac lvot ulac" (Pas d'élections) et de "Makach intikhabat m3a el 3issabat" (Pas d'élections avec les bandes). Un slogan qui n'était pas seulement scandé, mais aussi porté en français, en tamazight et en arabe sur des centaines de pancartes, visibles partout dans l'immense foule qui se dirigeait vers le centre-ville. Devant le CHU Nedir-Mohamed, un dense carré attendait pour prendre la tête de la marche. En avant, une banderole déployée de bout en bout de la rue donnait à lire : "Le FFS authentique fidèle au combat et aux aspirations du peuple algérien. Non à la soumission. Non à la trahison." Il est formé par des militants du FFS qui appellent la direction de leur parti à rejeter les élections. "Si Lhocine mazalna mou3aridhine", scandent-ils sans répit. Devant eux, d'autres carrés se forment rapidement par d'autres groupes qui continuent d'affluer. Les "Madania, machi 3askaria" (Etat civil et non militaire) et "Nidhal, nidhal, hetta yaskout ennidham" (La lutte, la lutte jusqu'à la chute du système) résonnent alors partout. Sur le boulevard Abane-Ramdane, une marée humaine imperturbable avançant tel un torrent qui se déverse sous la trémie pour ressortir de l'autre côté et suivre son lit vers la place de L'Olivier. Les messages sont innombrables. "Liberté pour Lounès Hamzi", "Liberté pour Baba Nedjar", lit-on sur des pancartes et banderoles sur lesquelles les portraits de ces deux détenus d'opinion qui continuent à subir le plus abject des arbitraires de la part du pouvoir. Sur une imposante pancarte on pouvait lire "L'Algérie nouvelle est le plus gros poisson d'avril de tous les temps". Un message qui résume la conviction du peuple que rien n'a encore changé en Algérie. "59 ans de destruction, ça suffit", "Cédez le pouvoir", "Période de transition, souveraineté au peuple", "Ni militaire ni islamiste", lit-on encore sur d'autres pancartes.