Par : NADJI KHAOUA [email protected] ANNABA Quel wali, quel président d'APC s'est rendu compte que sur le territoire de la wilaya ou de la commune dont il a la charge des compétences scientifiques existent dans toutes les disciplines, qu'il pourrait décider de mobiliser pour aider à l'étude et à la solution des problèmes foisonnants auxquels fait face sa commune ou sa wilaya ?" J'exprime dans mes écrits une réflexion personnelle guidée par ce que je considère comme "l'intérêt général", insoumis à tout autre considération. Plus d'une voix s'expriment sur l'évolution de l'Algérie depuis le "mouvement populaire de rejet du système" de février 2019. Chacune d'elles insiste sur sa vision du changement qui devrait émerger et bâtir un nouveau système sociopolitique pour la construction d'un Etat moderne, basé sur l'équité. Le nouveau système sociopolitique espéré focalisera les efforts moyens sur un objectif suprême : la concrétisation par les politiques de l'intérêt général. Dans cette conception, les ressources publiques sont celles qui appartiennent à la collectivité : c'est le cas des ressources du sous-sol, du sol et celles marines. C'est aussi le cas des résultats du travail de la collectivité en mobilisant les moyens et les infrastructures publiques pour valoriser les ressources à travers le marché. C'est aussi le cas du savoir que portent les compétences humaines reconnues par leurs titres et leurs travaux scientifiques. Les revenus qui en résultent doivent être gouvernés de manière équitable entre les composantes sociales. Or, dans le cas des compétences mobilisées par les Universités, cela n'a jamais été le cas, si on compare les traitements et les salaires des enseignants-chercheurs, avec ceux accordés aux personnels d'encadrement des institutions sans exception. Les données chiffrées, émises par l'Office national des statistiques et d'autres institutions similaires, le montrent. Pour prendre un exemple, considérons les traitements des enseignants-chercheurs des plus hauts grades basés à l'Université, avec ceux de la panoplie des salaires et des traitements qu'accordent les professions d'encadrement des autres institutions. Si on analyse les différentes fonctions et professions dans l'Etat, on comprendra que celle d'enseignant-chercheur rattaché à l'Université est la profession chargée de comprendre les problèmes que vit la société, ceux qui bloquent son évolution et freinent l'efficience de l'exploitation de ses ressources, l'efficacité de ses modèles (société, économie, représentation politique). C'est la profession dont les missions sont celles de transmettre, en toute responsabilité, le savoir qui forme les compétences, pour le capter, le reproduire, le diffuser et le recréer. Or, à quel niveau sont rétribués ces enseignants chercheurs, dont la mission est de comprendre les problèmes du pays pour ensuite proposer par leurs travaux des voies d'évolution vers une société dont la dynamique est basée sur l'usage du savoir ? Le but visé est de pouvoir mobiliser la société, par le savoir, pour construire un Etat moderne où chacun est protégé, au même niveau attendu par n'importe quel autre citoyen. Le traitement accordé aux différentes catégories socioprofessionnelles est le critère de rétribution des citoyens de manière équitable, selon une échelle des valeurs classant leurs mérites et leurs contributions. Or, comparons le salaire des enseignants-chercheurs les plus anciens et les plus hauts gradés à l'Université, avec les niveaux de celui versé aux autres professions d'encadrement dans les institutions (haute administration, direction d'entreprises publiques, autres institutions diverses dans les autres domaines de l'Etat). Nous découvrirons des différences fondamentales qui indiquent que l'Etat n'a jamais réussi, quel que soit le gouvernement en place, à mobiliser pour son évolution moderniste ses enseignants-chercheurs. Beaucoup d'entre eux se désintéressent entièrement de réfléchir aux problèmes de leur pays et d'innover des propositions de solutions pour les résoudre. Une des plus enracinées des conséquences de cette négligence politique que ressentent dans leur vie professionnelle les enseignants-chercheurs est celle qui s'est manifestée dès les années 1970 et 1980, par un filet d'émigration devenu depuis un courant de plus en plus enraciné. Il prend dès les années 1990 et 2000-2005 une importance grave de par le saignement des savoirs que portent les élites émigrantes, saignement vers différents pays sur les cinq continents, contribuant malgré elles à l'essor de ces derniers au détriment de celui de leur origine, en supportant des déchirures sociales définitives. Les institutions internationales spécialisées dans les questions des migrations estiment que la proportion d'Algériens ayant émigré approche près de 20% du total de la population locale, soit au moins huit millions (8 000 000) de personnes. Quelle peut en être la cause, si celle des inégalités persistantes en matière salariale n'en est pas la plus claire ? Si on prend le cas des plus hauts gradés des enseignants-chercheurs activant dans le pays, on constate que leur traitement mensuel (salaire net + prime de rendement) est égal en 2021 à : 7 à 8 fois le salaire minimum. Or, l'Etat accorde à ses personnels d'encadrement des traitements mensuels tellement élevés et souvent garantis à vie (salaire + prime + prise en charge du logement, du transport, des moyens de travail tels que micro-ordinateurs, téléphone, Internet), par comparaison à ceux accordés aux enseignants-chercheurs universitaires, qu'aucune compréhension de cet écart abyssal ne peut être justifiée ni logique, ni mobilisatrice des compétences universitaires. Ce fait se renforce et s'enracine. L'écart qu'il révèle entre les salaires des enseignants-universitaires au plus haut grade avec une expérience dépassant la décennie et ceux des autres types de personnels d'encadrement est encore plus abyssal lorsqu'on analyse sa réalité quotidienne. Ainsi, le revenu réel à la disposition de l'enseignant-chercheur est très significativement plus faible. Il est de loin inférieur au niveau de 7 à 8 fois le salaire minimum. Pourquoi ? Simplement parce que dans la vie réelle, différente des contenus des textes et réglementations, les personnels d'encadrement des institutions voient, depuis le premier jour de leur prise de fonctions, l'Etat mettre à leur disposition les moyens nécessaires leur permettant d'assurer leurs fonctions. Sauf dans le cas de l'enseignant-chercheur. Ce dernier doit acheter, en y consacrant une part de son revenu, ses instruments de travail – le livre récent, achat de revues scientifiques internationales récentes, micro-ordinateur portable, logiciels, connexion Internet, participations à des rencontres académiques internationales, bureau personnel placé souvent dans son logement exigu, situé dans une zone urbaine bruyante et sans confort de vie. Son salaire net réel serait alors : salaire minimum x 4 à 5. Par contre, certains de ces traitements qu'accordent à leurs cadres les institutions publiques sont équivalents à : salaire minimum x 50 à 80. Quoi d'équitable, de logique ou de mobilisateur entre : un traitement de "professeur enseignant-chercheur", équivalant à : salaire minimum x 4 à 5, et un traitement d'un cadre dirigeant de Sonatrach, de Sonelgaz, d'Air Algérie, d'un quelconque ministère..., très souvent égal ou supérieur à : salaire minimum x 50 à 80 et souvent plus, beaucoup plus ? Pour prendre un exemple encore plus simple, étudions le cas du logement dont peuvent disposer ces deux catégories de cadres supérieurs au service, l'un du savoir, sa diffusion, sa reproduction et la participation à sa création, et l'autre au service de l'administration et de la gestion des entités publiques diverses. Le constat est simple à faire. Il est au-delà de tout doute quant à sa réalité partagée par les milliers d'enseignants-chercheurs des plus hauts grades toutes disciplines confondues. Aucun de ces cadres supérieures chargés de transmettre le savoir, de le reproduire et de participer à sa création, ne peut accéder avec son revenu universitaire net à un logement décent lui offrant un minimum d'espace, de tranquillité, de silence, de propreté ambiante, de sécurité pour lui et ses proches, conditions nécessaires basiques pour pouvoir assurer de manière efficiente son travail d'enseignant-chercheur. À l'exclusion des universitaires issus des familles riches et ceux exerçant d'autres fonctions rémunérées en parallèle, tous vivent dans des logements inconfortables, dans des zones urbaines excentrées et bruyantes, sans aucun espoir d'amélioration. L'exemple des enseignants-chercheurs basés à Annaba, une ville universitaire parmi les plus importantes, est significatif. Son Université existe depuis juin 1975. La majorité de ses enseignants-chercheurs habite dans des logements localisés dans les quartiers populaires les plus éloignés du centre-ville, parfois à plus d'une dizaine de kilomètres. Ces logements sont caractérisés par l'étroitesse de leur surface habitable, la vétusté des quartiers où ils sont situés, leur insalubrité endémique, la faible sécurité qu'ils offrent. Alors que si les pouvoirs publics, hier comme aujourd'hui, voulaient mobiliser les élites qualifiées disponibles dans les universités, des mesures simples de rattrapage en matière de salaire (qui n'a pas évolué pour les enseignants-chercheurs universitaires depuis 2008) sont faisables immédiatement. Des mesures en matière de logement, comme celles de prêts pour acquérir des logements décents dans les promotions immobilières privées, financées par les commissions sociales des universités, sont simples à prendre. Enfin, des mesures simples à prendre peuvent rendre la location-vente obligatoire pour les promotions immobilières privées. Cela n'a jamais été le souci des pouvoirs publics, ni des ministres successifs, ni des walis, ni des recteurs. Quel wali, quel président d'APC s'est rendu compte que sur le territoire de la wilaya ou de la commune dont il a la charge des compétences scientifiques existent dans toutes les disciplines, qu'il pourrait décider de mobiliser pour aider à l'étude et à la solution des problèmes foisonnants auxquels fait face sa commune ou sa wilaya ? Pourquoi les pouvoirs publics ignorent-ils leurs enseignants-chercheurs ?