Alors que les marches du Hirak sont empêchées ailleurs, Tizi Ouzou et Béjaïa continuent de mobiliser les citoyens notamment à l'approche des élections législatives comme ce fut le cas hier où des milliers de manifestants ont battu le pavé. Aujourd'hui, tous les regards seront braqués sur cette région pour scruter le comportement des électeurs. Le décor qui s'est installé, dans l'après midi d'hier, au centre ville de Tizi Ouzou n'était pas sans rappeler les impressionnantes marches que cette ville a connues durant les premiers mois de l'insurrection populaire de Février 2019. La mobilisation enregistrée à l'occasion de la marche du 121e vendredi qui a eu lieu dans les rues de la capitale du Djurdjura, a pulvérisé tous les records enregistrés depuis la reprise des manifestations de rue en février dernier. A moins de 24h des élections législatives, la population de la région est sortie massivement pour réaffirmer son rejet de ce rendez-vous électoral. Il était midi passée. Le soleil darde ses rayons et la chaleur est suffocante, mais les inconditionnels des marches du vendredi sont déjà là, sur l'esplanade du stade du 1er-Novembre, lieu habituel de départ des manifestations. Habituellement ils n'apparaissent sur cette place qu'à 13h. "Aujourd'hui, c'est une journée exceptionnelle. Nous allons démontrer au pouvoir que la Kabylie rejette son élection et sa feuille de route", estime Arezki tout en vidant une bouteille d'eau sur sa tête pour se rafraîchir. Tout autour de lui, des dizaines d'hommes et de femmes, en sueur, mais visiblement rassurés par l'absence de tout dispositif policier après les informations ayant circulé la veille quant aux impressionnants cortèges de services de sécurité croisés sur la route vers Tizi Ouzou, s'échinent à déployer banderoles, drapeaux et pancartes. Certains commencent déjà à crier, sur place, leur hostilité aux élections d'aujourd'hui. Le silence et le vide qui régnaient au centre-ville dans la matinée, sont rompus. Sur la route longeant le CHU, comme sur la montée de l'université Mouloud-Mammeri ou dans les autres ruelles de la ville, le flux humain est incessant. Intarissable. Tous les chemins mènent au stade. Drapés dans l'emblème national ou amazigh ou encore avec une pancarte ou une banderole sous le bras, des hommes et des femmes affluent individuellement, en famille, en petites grappes puis en groupes imposants. En deux temps trois mouvements, l'esplanade du stade est noire de monde. Les carrés commencent à se former. Ils sont plus nombreux et plus denses que d'habitude. Plusieurs carrés ayant déserté le terrain depuis plusieurs mois ont signé leur retour, à cette occasion. Le la est ainsi donné. La marche s'annonce grandiose. 13h30. L'impressionnante marée humaine s'ébranle, bruyante, aux cris de "Ulac l'vot ulac", "Makache intikhabate ya el-îssabate". Ces slogans scandés sont appuyés par un nombre incalculable de banderoles exprimant de différentes manières le rejet de ces élections qui semblent être le mot d'ordre dominant de la marche. "Le peuple ne vous reconnaîtra pas", est écrit en noir sur une large banderole jaune. "Législatives sans peuple", "12/06 : opération zéro vote", "Le corps électoral est dans la rue pour vous destituer", "Vos élections ne feront qu'amplifier la crise", lit-on sur des pancartes. La marche venait à peine de démarrer qu'un hélicoptère commence à survoler la ville à basse altitude. Dans un premier temps, son bruit relègue au second plan les cris des manifestants. Irrités, ces derniers se mettent à siffler pendant un moment avant de recommencer à scander en forçant davantage sur leurs cordes vocales pour mieux se faire entendre. L'immense et dense marée humaine avance vers le centre-ville. Les derniers carrés n'ont pas encore démarrer du stade du 1er-Novembre lorsque les premiers s'apprêtent déjà à entamer le boulevard Abane-Ramdane. Là encore, beaucoup attendent pour rejoindre la marche. En tête de l'un des carrés, Mustapha Bouchachi, entouré des avocats de Tizi Ouzou, scande : "Djazaïr houra democratia". Derrière lui, des fumigènes sont allumés par dizaines et des feux d'artifice éclatent en série. En tête des deux carrés suivants, sur deux banderoles déployées sur toute la largeur du boulevard, on peut lire le même message : "Pour une véritable transition démocratique à travers une assemblée constituante souveraine", qui constitue une des plus vieilles et chères revendications du peuple. Un autre carré formé essentiellement par des femmes âgées mais très engagées, des enfants — placés en tête — reprennent en chœur un bouleversant chant qui plaide pour un meilleur avenir pour eux. Sur le boulevard Abane-Ramdane, il devient de plus en plus difficile d'avancer et encore moins de se frayer un chemin, y compris sur le trottoir. Même si l'air est devenu irrespirable, le torrent humain poursuit son chemin avec une grande détermination. Au milieu des manifestants émergent également les portraits d'Abane Ramdane, de Larbi Ben M'hidi, de Boudiaf, de Fadhma n'Soumer, de Matoub Lounès..., en un mot les portraits de tous ceux auxquels l'Algérien s'identifie. Aux portraits de ces héros viennent se greffer ceux des détenus de la révolution qui sont nombreux à payer pour avoir donné leur opinion. À ces derniers, la foule promet d'être là, pour eux, jusqu'au bout. "Ya Lmoutaqlin, rana hna, ma ranach habssin". "Détenus, nous sommes là, nous ne nous arrêterons pas". Alors que l'hélicoptère continue de survoler la ville, la marée humaine poursuit son chemin vers la place de L'Olivier pour se disperser vers 15h30 après avoir dit son dernier mot : "Non aux élections législatives". À BEJAIA La 121e marche hebdomadaire du mouvement populaire, qui intervient à la veille de la tenue des élections législatives anticipées, a été hier à la ville des Hammadites particulière par rapport aux quatre dernières marches, notamment concernant la mobilisation citoyenne. En effet, la population de la région s'est largement mobilisée pour réitérer son rejet total de ces élections législatives. Un rejet prôné par le Hirak et conforté par le boycott des partis de la mouvance démocratique, depuis l'annonce de la date des élections par le gouvernement. Indubitablement, la population béjaouie est stimulée par ce rejet tous azimuts, comme en témoigne sa mobilisation impressionnante à la marche d'hier. Soit la veille du vote. Pour preuve, les mots d'ordre qui ont dominé la marche sont "Ulac l'vot ulac" (Pas d'élections), "L'vot à zéro, système à genoux" et "En Kabylie zéro votant". Dès 13h, la procession humaine s'est ébranlée de l'esplanade de la maison de la culture Taos-Amrouche. Sous une chaleur torride, le "la" est donné par les manifestants sur le sort qu'ils comptent réserver au rendez-vous électoral d'aujourd'hui. C'est en scandant à tue-tête : "Ulac l'vot" (Pas d'élections), que le coup d'envoi a été donné à la marche. Brandissant le drapeau national et l'emblème amazigh, ainsi que des pancartes sur lesquelles étaient écrits des slogans chers au Hirak et collées des photos des détenus d'opinion, les milliers de manifestants ont parcouru l'itinéraire habituel des marches du Hirak à Béjaïa. De l'esplanade de la maison de la culture Taos-Amrouche jusqu'à El-Qods, point de chute de toutes les marches du vendredi, en traversant la rue de la Liberté, avant d'arpenter le boulevard Amirouche, les manifestants n'ont pas cessé de scander des slogans hostiles au pouvoir. Dans la matinée, le climat était très tendu en ville du fait que la marche coïncide avec la veille d'une élection inédite. Des 4x4 de la police (BRI) patrouillaient dans les rues de la ville. Quelques arrestations ont été opérées bien avant l'entame de la manifestation. Tout le monde s'attendait à ce que la marche soit empêchée, voire violemment réprimée par les forces de sécurité. Mais c'était sans compter sur la grande mobilisation citoyenne. Selon quelques observateurs politiques locaux, la mobilisation des citoyens à la marche d'hier laisse présager que les urnes seront massivement boudées aujourd'hui par les électrices et les électeurs de la région. Néanmoins, des voix lucides ne cessent d'appeler la population juvénile à plus de prudence et de vigilance. Ne pas répondre aux provocations du pouvoir et de certains politicards qui ont pris pour cible, à défaut de programme politique à défendre, la Kabylie.