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Comment fabriquer Une chaloupe en Algérie ?
L'Autre Algérie
Publié dans Liberté le 01 - 07 - 2021


Par : Kamel daoud
Ecrivain
Le véritable voyage est muet. Il laisse derrière lui les mots habituels, les formules convenues, toute l'ancienne langue. On n'a plus rien à dire d'ancien dans le monde nouveau et on s'occupe d'y naître.
Le village, ce début d'été, est brûlant comme un galet. Les arbres s'y cachent en faisant tourner leurs ombres. Dans la ruelle sèche, les murs sont vieillis, décrépits et comme cuits par des étés perpétuels jusqu'à dénuder leurs pierres. C'est le centre du village, le centre d'autrefois, colonial. La périphérie du village est le territoire des nouveaux immeubles aux estomacs éventrés sous forme de poubelles ouvertes. Logements sociaux et auto-construction. Dans la ruelle, des vitrines trop chargées offrent aux regards des tenues de femmes aux couleurs trop vives. Des jeunes sont assis sur le seuil des boutiques et essayent de s'occuper en attendant des clients rares sous cette chaleur.
La vie d'un village a cela d'étrange qu'elle semble lente, le temps lui-même s'y déchausse. Il n'y a rien à y faire sauf pour les plus vieux. Eux, ils prient, font des courses, se chamaillent entre anciens, se racontent leurs maladies comme deux jeunes qui se racontent des orgasmes. Les femmes sont invisibles sauf aux rites et dans le cimetière. Le piège est donc total pour les plus jeunes : pas de loisirs, pas de plaisir, le sexe est un écran de téléphone, les prénoms des filles sont des voiles et le corps ardent butte sur les remparts. "La faute à l'Etat" ? Non, de tous.
On participe tous à la fabrication de ce pige national asexué, refoulé, frustrant. Ce monde vide qui s'interpose entre les sens et l'au-delà comme une caméra de surveillance des désirs. Pour vivre son corps ou l'étreinte ou la joie, il faut mourir ou se marier. Quant à la verdure, elle est trop brève pour être épousée. Autant que le rire franc, l'ébriété, la folie jeune, la caresse ou un défilé de mode. Ici, on se partage des rides aussi longues que les fils des poteaux. On se tient par la méfiance, la médisance ou l'attente hébétée. Il n'y a pas de temps, il y a des appels à la prière qui le font avancer. Sauf qu'aujourd'hui, dans cette ruelle, le silence est encore plus profond, comme définitif. On explique à l'auteur que la dizaine de jeunes du quartier sont tous partis. Vers où. L'Espagne. L'un d'eux s'était enfermé pendant des mois pour apprendre à naviguer et conduire une embarcation et utiliser une boussole. Sur internet. Il en ressortit le pied marin. Le reste est une routine connue. Des contacts. Des cotisations. L'achat d'une embarcation puis, un jour obscur, le départ. "Ils sont arrivés" m'explique un vieil ami. Il sonde ma réaction pour savoir s'il doit condamner ou saluer. Le patriotisme est en effet réversible, comme la mer, chez nous. Le nationalisme est une question d'humeur. Dans son regard, je surprends un regret. Celui de n'avoir pas tenté l'inconnu il y a vingt ans ? De la colère contre soi retournée en colère contre le pays ? Mon interlocuteur change de sujet, mais ses yeux restent braqués sur la mer imaginaire de sa vie rêvée.
L'information du départ de cette dizaines de jeunes angoisse. Malgré soi, on se met à se demander si on a fait le mauvais choix en restant. Une panique maîtrisée grimpe le long du sang. Suis-je un idiot ? Les idiots du village sont-ils les derniers habitants d'un village ? Puis une autre peur arrive, en seconde couche : peut-être que le pays est en train de s'écrouler et que je reste là sans le voir ni le comprendre ? Peut-être que c'est déjà presque trop tard.
Puis, l'idée de départ s'offre des images : l'arrachement, la perte des siens et du sens, l'inconnu, le froid, la perte du corps dans le travail dur, le sacrifice. On reste muets, mon ami et moi. Chacun dans son propre tribunal, celui de ses rêves.
Habituellement, on traite ces jeunes de victimes. On se tourne vers le Régime. On creuse ses arguments et on soupire sur l'échec national. Mais on sait tous que c'est à moitié vrai. Le piège national est fabriqué par l'hypocrisie de chacun. Le jeune qui rêve d'embrasser une Norvégienne, mais qui refuse la liberté de s'asseoir ou de marcher sous la pluie à sa propre sœur, fabrique ce piège. Autant que l'imam qui ranime chaque vendredi la botanique du paradis. Ou le prêcheur, le parent pauvre, le frustré ou le menteur sur son propre corps, le libérateur de la Palestine par la salive et le maton des femmes seules.
On est les meurtriers de nos désirs. Il n'y alors que deux voies pour échapper à la mort debout : mourir et aller au paradis, ou presque, mourir et atteindre l'Espagne. À midi, la chaleur est un couteau qui scalpe. Il fait tellement chaud qu'on peut donner à son climatiseur le prénom d'un être aimé. Le village avec ses ruelles et ses odeurs de légumes pourries et ses fenêtres closes est une capitulation. Des voitures raniment la mort, puis passent. Mêmes les oiseaux deviennent des pierres à cette heure précise.
Pourquoi le vrai voyage, le vrai départ, est-il muet ? Parce que les harraga quand ils partent, ils partent vraiment. Pas de jérémiades sur Facebook, pas d'aigreur d'exilés, pas des demi-départs contrebalancés par des faux retours. Le harrag part, absolument, radicalement. La mer est irréversible comme une naissance. Le harrag s'occupe en arrivant à creuser son trou, gagner sa vie et ses papiers, s'installer et escalader l'arbre de la vie nouvelle. Les "intellos", eux, non. Ils ne cessent de juger de leur raison, juger de qui sont restés, de "gouverner" le pays quitté par leur nostalgie et "la leçon", et le pays d'arrivée par leurs peurs et leur frustrations ou rancune ou angoisse d'amputés.
Quand on rencontre un harrag en terre étrangère après quelques années, il a quelque chose de dur en lui, de tranché, mais souvent, pas de colère contre le pays d'accueil. Peut-être de la frustration, de la désillusion, mais sans rancune salissante : le harrag assume son choix, profondément. Le lettré exilé, lui, non, souvent. Son départ est un torticolis cérébral. Une torture entretenue comme une lampe de poche dans un monde à moitié connu. Il veut construire le pays, mais de loin, sans y mettre les pieds. Et a des jugements sur son pays d'arrivée, mais sans y mettre les mains. Un fantôme de ses propres racines. D'où ce verbiage parfois sublime, souvent déprimant, de l'exilé lettré. En face, ramant muet et l'œil fixé sur un rocher d'espoir, le harrag ne dit rien, mise tout, vainc la mer et pas seulement un guichet de visa, ose le corps et la malédiction, et arrive où il veut arriver nu et cabré. Et quand il arrive, il se tait car l'endroit exige tout le muscle, pas seulement un soupir.
Comment fabriquer une chaloupe ? On sait tous le faire, unanimement, assis sur la terre libérée. La chaloupe, ce n'est pas le morceau de bois et de plastique qui prend la mer. La chaloupe, c'est le sol resté, le pays sans courant, la nation qui n'a pas su être libre. C'est un endroit étroit, où des millions s'entassent et se bousculent, où le rêve est moite et le drapeau ensanglanté et retombé. La chaloupe, c'est ce creux de soi et du territoire vers où on retombe comme une eau vaine. Un pays, ce n'est un logement, mais un rêve et un sens et des loisirs pour l'âge bref de la jeunesse. Sans cela, c'est juste un au-delà tombé accidentellement de la remorque de la mort cahoteuse.


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