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"Il est essentiel de prévoir le suivi des symptômes dépressifs" Pr MOHAMED LAMINE ALOUANI, MEDECIN CHEF DU SERVICE DE PSYCHIATRIE DE L'EHS AIN ABESSA (SETIF)
"Il est à craindre que la pandémie de Covid-19 ait des conséquences psychiatriques à la fois en raison de l'action directe de l'infection sur le cerveau, mais aussi comme conséquence de la réponse immuno-inflammatoire à l'infection", redoute le professeur Alouani. Liberté : Quelles sont les conséquences sur la santé mentale des personnes ayant contracté la Covid-19 ? Pr Amine Alouani : Il est nécessaire de déployer des études épidémiologiques prospectives pour mesurer avec précision les conséquences de la Covid-19 sur la santé mentale. En février 2020, une étude menée en Chine portant sur 1 738 individus observait que 28,8% et 16,5% de la population générale présentaient respectivement des troubles anxieux et dépressifs modérés à sévères. La population de patients porteurs de maladies mentales avant le début de la pandémie semble avoir été également été très impactée sur le plan psychologique. En mars 2020, une étude menée en France sur une population générale a montré que la prévalence de l'anxiété était de 26,7%, soit deux fois supérieure au taux observé avant la pandémie, tout particulièrement parmi des populations spécifiques comme les femmes, les jeunes et les personnes en situation de précarité économique. Une autre étude chinoise publiée en juillet 2020 rapporte l'augmentation importante des états de stress post-traumatique (30%), des troubles du sommeil (25%) et la présence d'idées suicidaires très fréquente. De ce fait, il est à craindre que la pandémie de Covid-19 ait des conséquences psychiatriques à la fois en raison de l'action directe de l'infection sur le cerveau, mais aussi comme conséquence de la réponse immuno-inflammatoire à l'infection, en particulier de la tempête cytokinique qui fait suite à l'infection et dont on peut anticiper l'effet déclencheur sur les maladies mentales.
De pareilles enquêtes ont-elles été effectuées en Algérie ? Les données concernant les conséquences de la Covid-19 chez les patients infectés sont encore rares, mais elles montrent clairement que le risque ne doit pas être négligé et que le suivi des patients post-Covid doit être psychiatrique, au même titre qu'il doit être somatique. Cet aspect ne doit pas être ignoré. En Algérie, nous n'avons pas encore de résultats définitifs des enquêtes et études menées, cependant nous pouvons d'ores et déjà affirmer qu'on n'est pas loin des études menées à travers le monde. L'évolution était marquée par la survenue d'abord d'un état de stress post-traumatique et de troubles anxieux, puis de dépression. Il ne faut pas oublier d'autres effets psychologiques négatifs liés à la Covid-19, tels que les troubles du comportement alimentaire, les addictions engendrées par la surconsommation d'anxiolytiques et d'hypnotiques, la perturbation de la vie sociale quotidienne des familles et les violences intrafamiliales liées au confinement. En tant que professionnel et professeur en psychiatrie, que préconisez-vous pour faire face à ces troubles qui peuvent évoluer ? On ne le répétera jamais assez, il est essentiel de prévoir le suivi des symptômes anxieux et dépressifs ; en parallèle, les professionnels de la santé doivent mener des études visant à explorer le risque de développer des troubles anxio-dépressifs et suicidaires et leur lien avec la persistance de marqueurs de l'inflammation. Il faut évaluer également l'impact de stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses (relaxation, activité physique, maintenir les relations avec les proches, éviter les situations d'isolement capables de mettre à mal les capacités de résilience et de révéler les fragilités individuelles...) pour réduire l'inflammation qui persisterait. L'OMS a fait des recommandations à destination de populations cibles pour soutenir le bien-être psychique et psychosocial pendant la pandémie de Covid-19. Pouvez-vous détailler cet aspect de prise en charge pratique spécialisée post-Covid-19 ? Les personnes affectées par la Covid-19 ne doivent pas être stigmatisées ; elles ont besoin de notre soutien, de compassion et de bienveillance. L'équilibre psychique en cette période de crise est tout aussi important que la santé physique. En effet, il faut éviter de parler des personnes malades comme des "cas de Covid-19", ou des "victimes", ou des "familles Covid-19". Ce sont des "personnes qui ont la Covid-19", ou des "personnes qui sont soignées pour la Covid-19", ou des "personnes qui ont guéri de la Covid-19". Après guérison, leur vie professionnelle, familiale et affective reprendra normalement. Il faut minimiser le temps passé à regarder, lire ou écouter les informations qui font se sentir anxieux et stressé. Il faut plutôt essayer de rechercher de l'information de sources fiables, dans le but d'obtenir des conseils pratiques pour s'organiser et pour se protéger, ainsi que les proches. Il faut absolument se protéger et soutenir les autres, aider les autres lorsqu'ils en ont besoin est bénéfique. Se soutenir les uns les autres est bénéfique autant pour celui qui propose son aide que pour celui qui la reçoit. Il faut aussi partager les témoignages de ceux et de celles qui ont guéri.
Les personnels de santé sont-ils aussi confrontés à ces troubles ? Quelle est la stratégie à adopter pour faire face à cette situation ? Bien sûr. Il est constaté que les personnels de santé, que ce soit dans le public ou dans le privé, sont confrontés à ces troubles psychiques. Cependant, le stress et toutes les émotions qui y sont associées ne doivent en aucun cas être interprétés comme une faiblesse ou une incapacité de leur part à faire leur travail. Leur équilibre psychique en cette période de crise est tout aussi important que leur santé physique. Il leur est recommandé de prendre soin d'eux, particulièrement en ce moment, en essayant d'avoir au moins du répit, sinon quelques vraies pauses lors du travail ; manger équilibré et en quantité suffisante ; maintenir une activité physique pour réduire le stress, garder contact avec la famille et les amis. Enfin, il faut améliorer l'organisation de l'offre de soins en santé mentale en accroissant les capacités d'accueil et d'écoute psychologique capables de renforcer la résilience du personnel de la santé, tout en veillant à la vulnérabilité des sujets ayant des antécédents de maladie psychique.