Conseil des ministres: le président de la République ordonne de relever le seuil de l'investissement dans la filière du marbre    Aïd El-Adha: le Président de la République ordonne le lancement d'une consultation internationale pour l'importation d'un million de moutons    Renouvellement par moitié des membres du Conseil de la nation: Clôture du processus électoral au niveau des APW    Sanctionné pour avoir dénoncé les crimes coloniaux en Algérie, un journaliste français quitte RTL    Domaine national: plus de 320.000 livrets fonciers délivrés en 2024    Journée de la femme: 5 lauréates primées au Hackathon 100% féminin "She'BlueHack 2025"    Le président de la République préside une réunion du Conseil des ministres    Renouvellement par moitié des membres du Conseil de la Nation: Plus de 6200 élus des wilayas de l'Ouest du pays accomplissent leur devoir électoral    Le ministère palestinien de la Santé condamne la prise d'assaut d'un hôpital à El-Khalil par les forces d'occupation sioniste    Ramadhan: le vieux marché "Er-Rahba" de Batna, mémoire de la ville et destination préférée des jeûneurs    Futsal (Tournoi de la presse): rencontre APS-Echourouk News, le match de la dernière chance pour les deux équipes    Mascara: la mosquée Mustapha-Bentouhami, un édifice religieux chargé d'histoire    Ghaza: le bilan de l'agression sioniste s'alourdit à 48.458 martyrs et 111.897 blessés    CHAN-2024/ Qualifications barrages: Algérie - Gambie, lors du 2e tour    Soirée de musique andalouse à Alger avec Manal Gharbi    Décès du journaliste de la Radio nationale Mohamed Lamsen à l'âge de 47 ans    Lancement de la 2e édition de la campagne « Bravo aux Jeunes » pour soutenir le volontariat    Que cachent les attaques de la France néocoloniale à l'égard de l'Algérie ?    Plusieurs activités de solidarité à l'occasion du mois de Ramadhan    Attaques contre la mosquée d'Al-Ibrahimi    Le conseil municipal de Copenhague rebaptise une place principale en « place de la Palestine »    Lancement de l'installation de la 1ère unité du 2ème Centre national des données    Temps de réflexion « A l'occasion de la journée internationale de la femme »    La femme algérienne célèbre sa Journée internationale dans une Algérie déterminée    La torture a fait partie des mœurs des colonialistes français    Football, ce sport qui séduit    Coupe d'Algérie (8es de finale) : CRB- US Chaouia décalé au 12 mars    Contrôle des commerces d'alimentation générale de Mostaganem Prévenir tout risque d'intoxications durant le Ramadhan    Cinq nouvelles plages réservées aux estivants    CIO : Seuls les membres de World Boxing pourront participer aux JO 2028    Genève: la communauté internationale appelée à mettre fin à l'occupation marocaine du Sahara occidental    Ligue 1 Mobilis : l'USB renoue avec le succès, l'ESS s'impose dans le money-time    Ramadhan à Chlef : la "Cuisine itinérante", un pont de solidarité avec les familles nécessiteuses    Le président de la République présente ses condoléances aux familles des victimes de l'accident    Hommage Molped met à l'honneur les femmes entrepreneures pour la Journée du 8 mars    Le ministre Tajani réaffirme l'importance de la coopération avec l'Algérie        L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Comme une mouche dans un verre de lait
ARCATURES SOCIOLOGIQUES
Publié dans Liberté le 18 - 12 - 2021


CHRONIQUE De : Rabeh SEBAA
"Les tragédies des autres sont toujours d'une banalité désespérante." (Oscar Wilde)
SDF. Trois lettres qui sonnent froid. Trois lettres qui rappellent d'autres infortunes sous d'autres cieux, plutôt pluvieux. Trois lettres qui nous rappellent à l'ordre de l'inhumain et au calvaire de l'incertain. Jeunes ou vieux, femmes ou hommes, ils ont tous un pied dans les abysses de l'abîme. Ils ont déjà dépensé leur semblant de vie. Trop vite peut-être. Mais irrémédiablement.
Joie contre émoi. Allégresse contre détresse et clameurs contre hideur. Au moment où des grappes serrées de citoyens algériens fêtaient une victoire sportive, d'autres les suivaient d'un regard blessé. Un regard mouillé. Allongés sur les trottoirs de la même ville. Dans les mêmes rues. Comme un funeste gâche-fête qui vient ternir cette jubilation partagée. Cette exultation emballée. Comme une fausse note dans un arpège d'exaltation. Comme un point noir sur une impulsion immaculée. Un point noir pour toute la société, même quand elle exprime une gaieté méritée. Des prouesses ou des exploits bruyamment fêtés.
Une joyeuseté qui croise immanquablement la peuplade effarée de la mendicité. La peuplade de l'exclusion, du dénuement et de la misère. Qui répand anarchiquement des corps décharnés sur des cartons, sur des bouts de plastique rapiécés et sur le bout des lèvres des passants pressés. Au passage de ces groupes s'exclamant, chantant et tambourinant, on s'aperçoit que ces locataires de la marge sont encore plus nombreux. Plus visibles et plus miséreux. Plus sales et plus affamés. Ils sont jeunes ou vieux, malingres, tristes et angoissés. Ils ont tous les deux pieds solidement immergés dans le socle fangeux de l'oubli. Le regard immuablement planté dans les brumes épaisses du déni.
On ne sait pas d'où ils viennent ni où ils vont. Ils donnent l'impression d'être hors du temps. Détachés presque. Ils n'attendent plus grand-chose. Pour avoir dilapidé, trop tôt, toute leur maigre part d'aisance et claqué tout leur butin d'espérance. Leur destinée leur a déjà tourné le dos.
C'est pour cela qu'ils se tassent dans des endroits où l'avenir ne met jamais les pieds. Des lieux désertés par tous les lendemains. Y compris par ceux qui n'ont jamais chanté. Ils se contentent, parfois, d'implorer du regard. Immobiles. Accroupis au pied déglingué de quelque poteau qui ne sait même pas pourquoi il est encore debout ou agglutinés aux alentours de marchés grouillant de couffins déboussolés. Assis sur les marches de mosquées suintant l'indifférence, la mystification et l'hypocrisie. Errant dans tous ces espaces supposés susciter encore de la charité. Une charité qui se fait de plus en plus parcimonieuse. Sous les pas lourds de la pauvreté qui déferle de toutes parts et s'incruste pernicieusement par les pores dilatés de la ville défaite, jusqu'à lui obstruer le souffle saccadé.
Une misère exténuante contre laquelle ils n'ont même plus la force de se dresser. Elle leur a fait mordre le dernier lit de la dernière poussière. Elle les a mis définitivement à genoux. Elle les a vaincus. Et c'est pourquoi ils sont parfois recroquevillés, repliés sur eux-mêmes dans un recoin humide de leur solitude. Sondant le moindre regard ou guettant tout semblant de geste d'amitié. Epiant tout ce qui peut ressembler ou rappeler un mouvement de générosité, de compassion ou d'humanité. Et, à défaut d'une pièce de monnaie, ils espèrent une parole, juste quelques mots chuchotés. Pour être persuadés qu'ils ne sont pas totalement foutus. Pas encore. Pas tout à fait. Surtout lorsqu'ils sont désignés par ces trois lettres, SDF. Trois lettres qui sonnent creux. Trois lettres qui rappellent d'autres infortunes sous d'autres cieux, plutôt pluvieux. Trois lettres qui nous rappellent à l'ordre de l'inhumain et au calvaire de l'incertain.
Jeunes ou vieux, femmes ou hommes, ils ont tous un pied dans les abysses de l'abîme. Ils ont déjà dépensé leur semblant de vie. Trop vite peut-être. Mais irrémédiablement. C'est pour cela qu'ils se dissimulent sous des arcades assombries. Marchant, parfois, le long de rues désolées. Mendiant le long de murs déconcertés. Assis à l'entrée d'un l'hôpital qui ne sait plus à quel saint se vouer. Debout sur les trottoirs d'une gare égarée. Regardant un train toussotant qu'ils ne prendront jamais. Marchant, parfois, le long des rails avec la tentation de s'y allonger. Frappant aux portes d'un destin qui n'a aucune audience à leur accorder. Tendant la main vers un ciel qui ressemble à un toit bétonné. S'agrippant à n'importe quel mirage. Scrutant le moindre regard ou guettant tout semblant de geste de réconfort.
Alors, las d'être aux aguets, ils ferment de temps en temps la parenthèse de l'oubli et accordent une pause passagère à leurs paupières endolories. Ils se laissent transporter par ce qui leur reste de rêves squelettiques vers ils ne savent quelle contrée. Là où il peut leur arriver de manger, de dormir et de marcher sans se retourner. Sans jeter le moindre regard sur leurs semblables qui marchent, comme eux, dans les rues. Et auxquels ils gâchent profusément la vue. Même s'ils les invitent, une fois par an, pour quelques gâteaux insipides. Pour quelques limonades chaudes aussi. Dans une atmosphère sacrément glacée. Un rituel bourré de rides et d'hypocrisie. Dans une société qui a de tout temps prétendu respecter ses pauvres mais qui les largue à la première occasion venue. Comme des objets usés.
Il suffit de visiter l'un de ces centres de regroupement pour personnes sans-abri pour faire la connaissance du dénuement total. En chair et en os. Seuls quelques lits métalliques et quelques armoires bancales donnent du relief à cet univers gris. Où chacun peut avoir un aperçu sur le dernier quart d'heure de la vie. Où chacun peut mesurer l'étendue de l'insignifiance de toute prétendue morale religieuse de solidarité. Constater surtout l'étiolement des tissus de cette famille dite élargie. De laquelle ne subsistent plus que quelques pâles fantasmagories et quelques hallucinations vaguement tribalisées qui habitent intimement le corps de plus en plus exigu d'une sociabilité profondément décomposée.
Il existe, bien évidemment, beaucoup de personnes pauvres et âgées qui habitent encore en famille. Qui partagent toujours la maison familiale. Mais la solitude est déjà présente dans les rapports, dans les têtes et dans la quotidienneté. Dans les intentions comme dans les comportements. Et beaucoup sautent allègrement le pas. Beaucoup n'hésitent plus à abandonner un parent aux affres de ces mouroirs appelés abris pour pauvres ou personnes âgées, où l'oubli règne en maître. Car il est, bien entendu, honteux d'avoir un membre de la famille dans ces antichambres de l'enfer. Alors, plus de visites. Plus de nouvelles. C'est la rupture consommée. Des personnes affaiblies, livrées à elles-mêmes. Réduites à des tubes digestifs, qu'on se permet même de séquestrer dans certains centres. En toute impunité. Et c'est pour cela que certaines d'entre elles préfèrent se retrouver dans la rue. Désertant plusieurs fois de suite cette insoutenable atmosphère. Errant sans fin. Cherchant désespérément les limites leur permettant de tourner définitivement le dos à une société qui respire la sournoiserie, la menterie et la fourberie. Même s'il y a eu les éphémères maisons de la détresse, les fameuses Diar Errahma qui se sont évaporées subrepticement dans la nature. Et les milliards de plusieurs téléthons tapageurs avec.
Une belle et éclatante démonstration du modèle de la maison soluble dans le néant. Où des individus n'ayant aucune relation avec cet univers foisonnant du mal être sociétal règnent en maîtres. Un univers tout en difficulté et inextricable de complexité, qu'ils squattent depuis des lustres grâce au réseau opaque de toutes les complicités.
Qu'il s'agisse de centres spécialisés de rééducation, de centres pour handicapés, pour sans-abri ou d'hospices de toutes sortes, c'est la nébuleuse institutionnalisée. Généralisée et banalisée. Une fumeuse intendance qui incline naturellement et ostensiblement plus vers les affaires que vers les affres. Et, bien évidemment, le martyre des pauvres diables qui s'y trouvent parqués. Une constellation de centres qui sont d'authentiques condensés de détresse. Des centres vivotant dans le dénuement complet et l'abandon entier.
Des centres copieusement décentrés. Ce qui pousse inexorablement leurs éphémères locataires à retourner inévitablement dans la rue. À retrouver les bras râpeux de la béance. À se blottir dans les venelles rocailleuses de l'errance.
Et même si Arthur Rimbaud pensait que l'homme de l'errance possède tout l'univers comme habitation, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une habitation d'inhumanité.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.