Des spécialistes de la communication ont rencontré le grand public pour débattre l'avenir de la presse algérienne. L'intérêt des Algériens pour une presse plurielle, libre et crédible est de plus en plus fort et la table ronde consacrée à la presse algérienne, jeudi après-midi, à la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, est certainement édifiante à plus d'un titre. En effet, un public nombreux a tenu à assister à une aussi belle causerie, conviviale à souhait et intéressante à plus d'un titre, eu égard au débat contradictoire et parfois passionné qui a eu lieu. De nombreuses communications ont été données par des spécialistes en la matière autour de Belkacem Mostefaoui, enseignant bien connu dans le domaine de la communication, lui même co-organisateur de cette table ronde, avec la direction de la Maison de la culture Mouloud-Mammeri. Un plateau de choix qui avait répondu aux nombreuses attentes d'un public visiblement assoiffé d'expression libre, nécessitant près de quatre heures de débats fructueux. Encore que la confrontation d'idées avait pu se prolonger même en soirée, tant l'intérêt du sujet et la teneur des débats auront pratiquement happé toute l'assistance. Dans une première intervention, Brahim Brahimi, chercheur bien connu, devait s'étaler sur l'avancée de la liberté de la presse et de la démocratie en Algérie, tout en appelant à un meilleur développement de la presse régionale et locale. “Sur 41 quotidiens, 15 s'intéressent beaucoup aux régions et c'est tant mieux”, dit-il. S'il considère que la loi sur la presse de 1990 a grandement libéré le champ médiatique algérien, il a tenu à émettre quelques réserves de taille sur le nouveau projet de loi sur la presse qu'il estime plus contraignant pour la parution de nouveaux titres. Tout en exigeant une certaine égalité en matière d'aide d'Etat à toutes les publications et bannir ainsi l'aide privilégiée apportée à des journaux médiocres, Brahim Brahimi va même jusqu'à suggérer que le futur “code de la presse” soit intitulé “loi sur la liberté de la presse”, avec tout ce que cela suppose comme signification. De son côté, Outoudert Abrous, directeur du quotidien Liberté, est revenu sur les énormes difficultés que rencontre au quotidien la presse indépendante qui aura accompli un bond extraordinaire par rapport à la presse publique. “Sur un tirage quotidien de 1 500 000 exemplaires, seuls 70 000 relèvent du secteur public, d'où la différence de taille”, dira Abrous qui n'omettra pas de souligner que “la presse est le troisième pouvoir en Algérie après le régime politique, d'une part, et les lobbies et les différents centres d'intérêt, d'autre part”. Et au directeur de Liberté de rappeler tout le harcèlement judiciaire, le monopole de la publicité et les blocages d'imprimerie au quotidien, tout en rappelant le soutien indéfectible du journal Liberté au mouvement citoyen de Kabylie. Omar Belhouchet, directeur d'El Watan, devait susciter d'emblée des ovations dans la salle lorsqu'il déclara : “Après treize ans d'existence de la presse indépendante, je me demande ce que serait devenue l'Algérie sans cette presse qui a réussi à imposer un rôle de contre-pouvoir, malgré ses faiblesses et ses quelques maladresses, tout en s'efforçant de rapporter fidèlement l'information telle qu'elle est vécue par les Algériens”. Tout en insistant sur le principe du “compter sur soi-même” des journaux indépendants pour assurer leur autonomie économique et garantir leur liberté d'expression, Omar Belhouchet estime que la presse algérienne a réussi une percée considérable, mais il reste beaucoup à faire pour les journaux appelés à s'améliorer dans le fond comme dans la forme. Grand spécialiste des procès de la presse et défenseur infatigable de la liberté de la presse, Me Khaled Bourayou devait d'abord rendre un hommage particulier à ses confrères qui constituent le collectif des avocats bénévoles du mouvement citoyen, tout en affirmant que “sans la presse, l'Algérie serait déjà entre les mains d'un régime “taliban” ou d'un pouvoir plus dictateur. Un tel acquis constitue sûrement l'une des meilleures réalisations en Algérie depuis l'Indépendance”. Il rappellera la multitude de procès de journalistes et d'éditeurs qu'il a défendus pour des “informations parfois banales”, dit-il. Me Bourayou a ajouté que “la loi de 2001 sur la presse est plus grave que celle de 2000 en matière d'outrage et de diffamation, puisqu'elle prévoit désormais des peines de prison et de fortes amendes allant jusqu'à 250 millions de centimes. C'est dire que le nouveau projet risque d'enlever beaucoup plus de liberté à la presse et que de nouveaux journaux de langue française ont peu de chance de voir le jour”. Pour sa part, Fatiha Akeb, ancienne journaliste de talent à Algérie-Actualité, aujourd'hui cadre au ministère de la Communication et de la Culture, devait s'incliner à la mémoire d'un ancien confrère et ami qui lui était cher, le regretté Tahar Djaout, tout en rendant un hommage particulier à un doyen de la presse Mohand Saïd Ziad, présent dans la salle, avant de répliquer calmement et judicieusement à un jeune citoyen qui s'était déclaré publiquement offusqué par la présence de représentants du ministère de la “déculturation” ! “L'avancée de la presse algérienne est un acquis considérable, dit-elle, et même au niveau du ministère de la Communication et de la Culture, il y a de la réflexion et des personnes susceptibles d'avancer les choses.” “À ce titre, dira encore Farida Akeb, le ministère a déjà fait preuve de transparence en diffusant sur Internet le nouveau projet de la loi sur la presse pour permettre à tout un chacun de le voir et le lire et soumettre des suggestions.” “Personnellement, je crois profondément en une Algérie moderne et ouverte aux idées nouvelles”, dira en substance la représentante du ministère de la Communication. D'autres chercheurs bien connus, tels que Youcef Aggoun et Belkacem Ahcène Djaballah, ont fait part de leurs excellents travaux d'investigation et d'analyse sur la percée considérable de la presse indépendante en Algérie, en langue française comme en langue arabe, pour toucher quelque 6 à 7 millions de lecteurs par jour et créer environ 15 000 emplois permanents et 3 000 autres temporaires, même si les médias lourds (télévision, radio et APS) sont encore entre les mains de l'Etat, d'où la nécessite de libérer le champ audiovisuel. Rabah Abdellah, secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ), s'est déclaré très pessimiste quant au nouveau code de l'information qui constitue, dit-il, “un frein pour la liberté de la presse en Algérie, ce qui prouve que le pouvoir est peu favorable à l'instauration d'une presse libre dans notre pays”. M. H.