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Mascara désemparée par ses jeunes harraga
SOUVENT ILS PERISSENT EN MER
Publié dans Liberté le 06 - 02 - 2022

Plus d'une cinquantaine de victimes, certaines rejetées par la mer sur les plages du littoral ouest ou retrouvées dans les filets des pêcheurs, le visage défiguré par les crustacés et autant de portés disparus, tel est le lourd tribut que paie annuellement la région de Mascara à cause de la migration clandestine.
À cette macabre liste, il y a lieu d'ajouter des dizaines d'autres jeunes dont les parents n'ont aucune nouvelle depuis leur départ pour cette opération suicidaire.
En effet, ni le cas du jeune Kada mort dans une ferme en Italie où il travaillait et qui a été assassiné par son patron pour avoir demandé son salaire, ni les autres retournés à leurs parents dans des cercueils ne sont à même de décourager les candidats à ce jeu du quitte ou double.
Dans ce contexte, et, à l'instar des grandes agglomérations, la wilaya de Mascara n'est pas épargnée par le phénomène de l'émigration clandestine que les pouvoirs publics ne sont pas parvenus à cerner et encore moins à endiguer et qui est, de nos jours, le sujet d'actualité des jeunes et particulièrement ceux forcés au chômage.
En effet, depuis quelques années, "el-harga" est le terme autour duquel gravitent toutes les discussions dans les milieux juvéniles y compris celui du sexe féminin puisque jeunes femmes et jeunes filles sont gangrenées par ce virus de l'émigration clandestine devenue, par la force des choses, une maladie qui hante les esprits.
Certes cette tentation a un prix que ces candidats sont prêts à payer même s'ils sont convaincus qu'au bout peut se profiler l'échec de l'opération sachant que le succès n'est pas toujours au rendez-vous.
À ce titre, des réseaux de passeurs se sont constitués dans les principales villes de la wilaya chargés d'"endoctriner" les potentiels candidats en leur faisant miroiter le succès garanti de la traversée par une bonne prise en charge, un bon accueil en terre d'asile et un emploi dans le secteur de l'agriculture.
Pour appâter leurs clients, les passeurs leur citent les cas de jeunes qui leur ont fait confiance et qui ont réussi à émigrer en France, en Espagne ou en Italie, les principales destinations convoitées par les harraga. Les prix proposés oscillent entre 1 000 000 et 1 200 000 DA, des sommes devenues l'obsession des futurs candidats contraints au dur labeur pour économiser en s'adonnant au trafic de tous genres y compris les vols.
Âgé de 44 ans, Sofiane qui a pris goût à la vie outre-Manche pour avoir séjourné en France n'a qu'une seule idée en tête, celle de renouveler l'aventure. "Depuis une année, je travaille en tant que chauffeur au sein d'une entreprise qui appartient à un parent.
Je suis logé et nourri gratuitement, ce qui me permet de faire des économies et ainsi d'atteindre mon objectif, celui de regagner l'Espagne", affirme-t-il tout en espérant que la deuxième tentative — la première s'étant soldée par un échec — sera la bonne.
"J'ai programmé mon départ pour le début de l'été prochain car d'ici à là, j'aurai amassé la somme exigée par mon passeur et ce n'est pas de gaieté de cœur que je quitterai mon pays mais il faut bien assurer mon avenir", ajoute-t-il.
La même idée a germé dans la tête d'Aïcha, une jeune femme divorcée sans enfant et qui est femme de ménage dans une administration, un emploi utilisé comme écran car elle s'adonne à d'autres activités illicites.
"Je suis reniée par mes parents, raison pour laquelle j'ai opté pour cette voie. À vrai dire, je n'ai pas choisi mon statut mais ce sont les conséquences de plusieurs facteurs. Je suis âgée de 28 ans et je me retrouve seule après que mon premier mariage s'est achevé par un divorce. Dans cette situation, seule l'émigration clandestine peut me servir de bouée de sauvetage car je suis convaincue que le mauvais chemin que j'ai emprunté ne me mènerait pas loin", raconte-t-elle.
Comme tous les autres candidats à la harga, elle mobilise toutes ses forces pour tenter d'amasser la somme nécessaire à la traversée.
"Pour parvenir à concrétiser ce rêve, je m'adonne à toutes les activités que l'on me propose pourvu qu'elles soient rentables. J'ai déjà entrepris les démarches nécessaires et je ne suis pas loin de disposer des 1 200 000 DA, une somme sur laquelle je me suis entendue avec une de mes connaissances pour les formalités et le voyage en Espagne, un pays où se trouve une autre amie qui consent à m'accueillir provisoirement, le temps de trouver un travail et de dénicher un toit, des conditions qui me permettront de voler de mes propres ailes", précise-t-elle.
Ces deux cas reflètent à eux seuls l'état d'esprit qui anime des milliers de jeunes décidés plus que jamais à franchir la ligne de départ vers une aventure dominée par l'incertitude. En effet, sur 100 jeunes interrogés, plus de 80 souhaitent rejoindre l'Europe pour une vie meilleure. Ils sont décidés à faire des sacrifices et des privations pour parvenir à leurs fins.
À ce titre, force est de reconnaître que les circonstances actuelles caractérisées par l'absence perspectives sociales constitue des motifs pour les pousser à l'exil.
Un seul cas qui fait exception est celui de la jeune Siham qui est parvenue à rejoindre la France via l'Espagne l'été dernier mais après un séjour de deux mois, et gagnée par le remords, elle a décidé de retourner au pays en se rendant aux autorités consulaires qui ont pris en charge les formalités de son retour.

A. BENMECHTA


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