Le bon sens dicte qu'il doit y avoir une raison pour scier l'arbre, notamment lorsqu'il gêne l'accès de votre véhicule au garage ou lorsqu'il est requis dans l'intérêt général d'installer, en lieu et place, un poteau électrique. Et lorsque l'arbre vous cache et vous gâche la vue, le mieux est de se faire une raison et de s'assouvir plutôt de son ombre au lieu de l'élaguer. Mais de là à le jeter bas à coups de cognée, pour y sevrer les tourtereaux d'un coin d'ombre au pied de l'arbre, il y a comme un péché qui déshumanise l'être et met à nu la part de l'animalité qu'il y a en lui. Bien sûr que l'acte anodin prête plutôt à sourire au pays du projet de barrage vert agro-écologique de boisement de notre steppe en 1970. C'était du temps où nos pare-brise s'enjolivaient d'hardis slogans dans le genre "L'Algérien avance et le désert recule" et "L'Algérien est l'ami de l'arbre" afin d'ensemencer la ceinture verdoyante de pins d'Alep (Syrie) plantés sur les monts des Ouled Naïl, à Djelfa. À ce propos, l'épouvantable acte contre la nature avilit son auteur au rang d'épouvantail qui rêve d'un désert où il prêche à satiété le "layadjouz" à l'égard d'un couple de lycéens dont le seul tort est de faire et de défaire le monde sous les rameaux de paix d'un olivier. Pire, et au comble de l'hystérie, nos apprentis bûcherons élaguent et effacent de l'écorce de l'arbre la pluie d'initiales gravées dans l'intérieur douillet d'un cœur qui saigne de la flèche de Cupidon. C'est-là l'exploit rocambolesque d'étouffer dans l'œuf tout élan charnel qu'il prêchait ce pion de lycée dit la "fouine" à son acolyte de "qahwadji" qui est aussi fada qu'orgueilleux. "C'est haram que d'octroyer tant de verdure aux dépravés sexuels et aux paumés" que vociférait la fouine à l'adresse de Yousra, la fille de Kader, orpheline de sa maman Fatima. Studieuse, belle comme une fleur de tournesol mais un tantinet rebelle, Yousra alimente le qu'en-dira-t-on du café maure du village, où se raconte de bouche à oreille l'impudicité de son prétendu dévergondage qui est né du fictionnel suggestif de paumés sevrés de sex-appeal. Mais c'est parce qu'hormis son jean moulant, Yousra ne se plaît pas dans le moule que voudrait pour elle la société. D'ailleurs, c'est sa forte personnalité de femme de poigne qui s'ajoute au désespoir de sa sœur Yasmine qui est un modèle de vertu, a déclaré l'auteure que nous avons rencontrée ce samedi 5 mars à la librairie du Tiers-Monde pour la signature de son troisième roman qui est préfacé par Maissa Bey. N'est-ce pas là le syndrome du conte "El-Mâakra" et sa sœur Mouni ? Seulement, si la fardée de La Casbah d'Alger relève de l'univers des légendes, l'idylle de Yousra est adaptée d'un vécu réel et a pour décors un village d'Algérie où elle est née pour avoir la liberté d'être. Bien sûr que s'il tenait à la "fille du film", elle aurait choisi d'être "née quelque part sur les trottoirs de Manille, de Paris ou d'Alger" comme dans la chanson de Maxime Le Forestier et échapper ainsi à la rumeur et aux tentacules de la pieuvre venue d'ailleurs pour faire main basse sur le village à l'aide de ces tentacules dites l'intolérance, l'obscurantisme et l'ignorance. Pis, à la beauté de la chanson Qui saura du regretté Mike Brant, celle-ci prédit également la noirceur de la décennie à venir dans ce bagne de vie. Sur ce point, Yousra n'est pas au bout de ses peines, puisqu'à l'invective et au jet de pierres de garnements orientés intentionnellement par les adultes, s'ajoute l'offense de sa sœur Yasmine qui pousse l'outrecuidance jusqu'à humer ses dessous pour y repérer l'odeur de l'amour ! C'en est trop pour Yousra, qui ne demande qu'à vivre à côté de Yanis ou son "roumi" qui souffre lui aussi d'un exil forcé dans ce village où il n'est plus qu'un "béni Hindel" (déraciné). Donc le mieux est de lire La pieuvre pour se lier de sympathie avec Bachir l'intello-humaniste, Hedda la bourrue qui n'a d'attache que son béret que lui a légué Mahmoud au maquis... Et puisqu'on est le 8 mars, Hedda ose dire : "Il n'y a d'aube qu'en traversant la nuit." Que c'est beau l'amour sans les tâches ménagères...
Louhal Nourreddine
La pieuvre de Salima Mimoune, éd, les presses du Chélif, 2021, 149 pages.