Le circuit serait même bien huilé et permettrait à certains pseudo-opérateurs, qui vivent en véritables parasites sur la filière, d'approvisionner des marchés internationaux tout en évitant les canaux officiels et les procédures d'usage dans ce genre d'activité. En 1995, l'Algérie exportait près de 22 000 tonnes de dattes pour un revenu de près de 76 millions de dollars. Une décennie après, plus précisément en 2004, le volume des exportations a chuté de manière vertigineuse pour s'établir à seulement 2 600 tonnes qui ont rapporté quelque 14,5 millions de dollars. Les chiffres rendus publics par les services du ministère de l'Agriculture sont frappants. La part importante que détenait le produit phœnicicole dans les exportations algériennes n'est donc plus aujourd'hui qu'un mythe. Quelles sont les raisons d'un tel recul ? L'Algérie classée parmi les plus grands producteurs qui se compte sur les doigts d'une seule main dans le monde a-t-elle définitivement perdu sa place d'exportatrice sur le marché international ? Où se situe la faille ? Pourtant, en ce qui concerne la production, les voyants sont au vert, comme le montre les chiffres publiés par le ministère de l'Agriculture. Pour la récolte de 2005, plus de 516 000 tonnes de dattes ont été produites, alors que la moyenne de production pour la période 1995/99 était de 340 000 tonnes. Ce que l'on remarque, c'est que depuis la mise en place du Plan national de développement agricole (Pnda) en 2000, le volume de dattes produit est allé crescendo jusqu'à présent, que ce soit pour Deglet Nour, qui représente 50% de la production ou pour les autres variétés. C'est que le programme en question a véritablement boosté la production à travers les nouvelles plantations réalisées dans ce cadre. En effet, alors que le potentiel national de palmier-dattier était de 100 000 plants, actuellement il se situe autour de 163 000 unités. Cela porte à près de 17 millions le nombre de palmiers que comptent les oasis du pays, dont 10,28 millions en rapport, c'est-à-dire qui sont entrés dans la phase de production. Tout cela pour dire qu'au niveau des ressources et du potentiel de production, l'Algérie continue à tenir la barre très haut. Mais il faut dire que l'augmentation de la production, notamment cette année, a surpris les plus avertis par sa proportion, à commencer par les agriculteurs eux-mêmes. Le revers de la médaille, c'est en effet les problèmes d'écoulement qui se posent pour les producteurs. Nous sommes donc en face de la même situation qui s'est présentée pour d'autres filières comme la pomme de terre et les fruits et légumes. L'abondance de la récolte s'est naturellement répercutée sur les prix qui se sont effondrés, causant au passage d'énormes pertes aux agriculteurs. La loi de l'offre et de la demande a pu pour une fois peser sur le marché et les ménages l'ont vérifié à leur grand bonheur, notamment durant le mois de ramadan où les prix des fruits et légumes étaient restés relativement stables, contrairement aux précédentes années. LE PROBLÈME DE LA COMMERCIALISATION “Nous avons des quantités importantes de dattes. Le problème se situe au niveau de la commercialisation. On ne trouve pas preneur. D'ailleurs, nous avons même des quantités que nous avons dû jeter ou donner aux animaux”, témoigne un producteur rencontré au Salon organisé à l'occasion de la Fête nationale de la datte organisée par la Chambre nationale d'agriculture en collaboration avec la direction des services agricoles de la wilaya de Ghardaïa du 13 au 14 novembre derniers. Les autres agriculteurs relèvent les mêmes difficultés causées par l'absence d'un circuit commercial huilé pour la prise en charge de leur récolte. Les représentants de l'administration du ministère de l'Agriculture partagent pour leur part ce constat. “On ne peut rien reprocher au fellah. Il a fait ce qu'il fallait faire et la production est disponible. Ce n'est pas au producteur de vendre ou de mettre sur le marché son produit”, estime M. Assabah, directeur de la régulation et du développement de la production agricole au ministère de l'Agriculture, qui considère que ce rôle échoit au circuit commercial. Il faut dire que dans les régions de production, c'est-à-dire les oasis du sud du pays, le prix de la datte a, cette année, chuté en raison, comme nous l'avons expliqué plus haut, de l'abondance de la production. Mais pourquoi cette situation ne s'est pas répercutée sur le nord du pays où le prix de la datte n'a pas connu de baisse sensible, même si l'on note une certaine disponibilité du produit. C'est dire que les intermédiaires, ou plutôt la maffia de la datte, continuent de faire main basse sur le marché imposant par là leur loi sur la filière qui, pourtant, subit toute seule les contrecoups de tels agissements, alors que des marges de bénéfices des plus exagérées sont encaissées par les intervenants dans la phase post-production. À titre d'exemple, pour la variété la plus demandée, en l'occurrence Deglet Nour, le kilogramme de bonne qualité est cédé par les détaillants de Ghardaïa à 100 DA. Arrivée à Alger, elle est proposée à 220 DA, voire 240 DA. À qui la faute ? Si pour les autres filières agricoles, les professionnels sont organisés de telle sorte que les intérêts des uns et des autres sont préservés, ce n'est pas encore le cas pour celle de la datte où, selon toute vraisemblance, l'on navigue à vue. les tentacules de l'informel Cette situation profite bien évidemment à ce secteur informel qui continue d'étendre ses tentacules jusqu'à se dresser comme un obstacle devant l'acheminement de la datte vers les marchés internationaux. C'est ce qui explique en grande partie le peu d'engouement des opérateurs pour l'activité d'exportation de ce produit. Il est en effet connu que des quantités importantes transitent par les frontières est du pays par des canaux irréguliers. Le circuit serait même bien huilé et permet à certains pseudo-opérateurs, qui vivent en véritables parasites sur la filière, d'approvisionner leurs marchés tout en évitant les canaux officiels et les procédures d'usage dans ce genre d'activité. Aujourd'hui, on ne connaît même pas le degré de nuisance de cette maffia, ni les quantités acheminées, notamment en direction de la Tunisie, où la datte algérienne est emballée et vendue sous le label de ce pays en Europe. “Il y a un problème d'exportation”, reconnaît M. Assabah. “Autant on a une culture d'importation, autant on n'a pas une culture d'exportation”, relève pour sa part M. Moumen, directeur de la protection des végétaux et des contrôles techniques, qui souligne que “les professionnels de la branche partent toujours en rangs dispersés parce qu'ils ne sont pas organisés”. Parmi les efforts fournis par le ministère de l'Agriculture en vue d'aider les professionnels de la filière à s'organiser pour mieux se défendre et préserver leurs intérêts figure le forum organisé en 2003 et qui a réuni, en plus des producteurs et des exportateurs, des experts et des représentants des douanes, des ports et de l'administration. L'application des recommandations de cette rencontre a permis, entre autres, de mettre en place des points de contrôle phytosanitaire au niveau des zones de production qui devenaient par ce biais des points de sortie puisque la marchandise plombée pouvait être exportée à partir des ports et aéroports (Alger, Oran, Skikda et Biskra) sans autre contrôle. Malgré ces facilités, venues s'ajouter au dispositif spécifique de soutien mis en place dans le cadre de la promotion des exportations (Fnrda et Fspe), les exportateurs ne se bousculent pas au portillon. Seule une trentaine ou tout au plus une quarantaine d'opérateurs se manifeste annuellement. Ce qui est jugé insuffisant, surtout qu'il n'existe pas une continuité. LA NOUVELLE GENERATION D'EXPORTATEURS Ces dernières années, une nouvelle génération d'opérateurs tentent de faire une entrée presque par effraction dans ce marché en investissant dans la transformation et le conditionnement de la datte, à l'image de Samir Mellac, gérant de la société Zelfana dattes. L'unité est entrée en production il y a seulement un mois, mais les résultats enregistrés semblent conforter ce jeune investisseur diplômé. Le partenaire espagnol avec lequel il travaille serait amplement satisfait de la qualité du produit algérien. D'ailleurs, les prévisions d'exportation de ce jeune opérateur montrent que la cadence peut arriver jusqu'à 1 000 tonnes d'ici la fin de l'année. Diplômé de l'université, le gérant de Zelfana dattes, que nous avons rencontré au Salon de la datte à Ghardaïa, a des projets plein la tête pour peu que les institutions bancaires acceptent de jouer le jeu. Il compte, en effet, mettre en place une unité de production d'alcool chirurgical à partir de la datte et divers autres produits dérivés. Un autre opérateur, en l'occurrence l'unité de traitement et de conditionnement Souf dattes, sise à Tiksebt à El Oued, se plaint, lui, des problèmes de transports et des lenteurs au niveau des ports. Ce qui se répercute sur la qualité du produit. Pourtant, grâce à ses contacts, le gérant de la société a pu arracher des contrats pour alimenter des marchés pourtant difficiles à investir comme la France, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Italie et la Belgique. C'est là la preuve que la datte algérienne continue d'être appréciée en raison de sa qualité, de son goût unique comme le démontre la réflexion d'un touriste français que nous avons rencontré lors de notre séjour à Ghardaïa. “Lorsque je compare la degla algérienne à la datte tunisienne ou marocaine, c'est comme si je comparais le caviar à un plat quelconque.” Une image qui se passe de tout commentaire. H. S.