Au-delà de ce scrutin sans précédent, c'est toute l'équation politique algérienne qui est en jeu. Qu'est-ce qui a fait tant courir les partis politiques derrière des partielles, somme toute, anodines si on ne les appréhende qu'en termes de mandat ? Les élus, qui en ressortiront, n'auront que 18 mois d'activité ! Tout juste le temps d'organiser leur prise de fonction. Pour voir clair, procédons par élimination. Certains, toujours à l'affût d'opportunités, ont les yeux braqués sur les milliards promis par Bouteflika pour relooker la région de la Kabylie, en panne de réalisations, pratiquement, depuis 2001, l'année de l'explosion du Printemps noir. Cette faune doit certainement exister, d'une façon ou d'une autre, dans la course de ce jeudi, mais pas au point d'en constituer l'élément fondamental. Le fait que ces élections n'aient pas laissé indifférent l'ensemble de la classe politique, de l'ossature du système et de ses périphéries à l'opposition dans toute sa déclinaison, est révélateur d'un enjeu qui dépasse de loin la réanimation des institutions locales. La campagne électorale a d'autant plus révélé le calcul des uns et des autres, qu'elle a été animée par les grosses pointures. Belkhadem, Ouyahia, Soltani, Mme Hanoune, Djaballah, Sadi et Laskri ont mouillé, comme jamais, leurs chemises. Tant et si bien, qu'il est à se demander s'il faut vraiment croire leur assertion partagée d'un “après-24 novembre” ! Le pouvoir, qui a déjà remporté deux premières manches, coup sur coup, d'abord, en disqualifiant les élus de 2002 (majoritairement du FFS) arguant que c'est une exigence des archs et, en imposant, sans difficultés, un nouveau tour de scrutin, à moins de deux ans de la prochaine convocation nationale, vise, de fait, à normaliser la région dite “rebelle”, en la réintroduisant dans son jeu institutionnel. Avec les élections, la Kabylie perd sa “singularité”. Et ce n'est pas tout. Le pouvoir compte aussi lui ôter ce qui faisait sa quintessence. Le FLN et le RND, même s'ils manifestent de la rivalité, ont pour mission stratégique de briser le couple FFS-RCD, de les coiffer au poteau. La manœuvre n'a échappé ni à Sadi ni aux adjoints de Aït Ahmed, lesquels convergent sur la fraude en “marche”. Les deux partis sont convaincus que ces élections sont destinées à annihiler leur présence dans la région, qu'ils auraient, selon les partis de la coalition présidentielle, transformée en “chasse gardée”. Boutés de Kabylie, Sadi et Aït Ahmed auront en effet, des difficultés à faire valoir leur importance, leur singularité dans la scène politique. Pour le pouvoir, l'idéal serait de faire revenir la région sous la coupe du FLN sinon de lui transposer le patchwork en vigueur ailleurs : des assemblées hétéroclites ferrées derrière la coalition. Les islamistes ne se font pas d'illusions, mais des élus de leur obédience en Kabylie, c'est toujours ça de gagner dans une région où ils n'ont jamais eu de parts, même si l'islamisme radical continue d'y sévir. Le RCD et le FFS ne se trompent d'ailleurs pas, en ruant dans les brancards. Pour Sadi et Laskri, les élections auront un effet sur le processus démocratique. Si le pouvoir exhausse ses calculs, c'est la voie royale pour le retour à la démocratie responsable que les héros du FLN revendiquent, aujourd'hui, sans détours. Par contre, si la région renouvelle son traditionnel échiquier, la démocratie et les libertés y afférentes resteront d'actualité. Mais là où le bât blesse, c'est qu'en dépit de cette analyse et malgré la pression de leur base respective, l'animosité qui grève les deux partis est restée intacte. L'ex-président de la ligue des droits de l'homme, Ali Yahia Abdenour, aura dépensé toute son énergie pour rapprocher les frères ennemis. Apparemment sans succès. De ce point de vue, la rivalité de clochers pourrait encore jouer en faveur du pouvoir. Ces calculs et appréhensions restent tout de même liés au taux de participation à ces élections. L'abstention ne sert ni le RCD ni le FFS et le pouvoir aura toute latitude pour avaliser ses propres résultats. C'est pourquoi, Sadi et Laskri exhortent les populations à voter. Mais, après les péripéties des archs, il y a comme une lassitude dans la région. Les populations ont-elles baissé la garde ? Réponse ce jeudi. D. Bouatta