Jacques Vergès, l'avocat “insolent” ne cesse donc pas de plaider sa cause. Dans ces entretiens qu'il accorde à Philippe Karim Fellissi, également avocat, celui qui a choisi la défense de certains clients très controversés, comme Carlos, Klaus Barbie, Milosevic… ou encore plus récemment Sadam Hussein, avant que la famille du président irakien déchu déclare avoir refusé de le mandater. Avant ces choix très médiatisés, l'on retiendra, nous Algériens, que Jacques Vergès a assuré la défense du FLN lors de la guerre de Libération et celle des membres du réseau Janson, les porteurs de valises. Ses plaidoiries devenues célèbres depuis, étaient basées sur la “rupture” totale avec le colonialisme et menées, presque, à contre-courant de la politique algérienne du Parti communiste français de l'époque, son propre parti. À contre-courant également et surtout de la pensée de Jean-Paul Sartre, qui est à l'origine du Manifeste des 121, et dont il dira au cours de ces entretiens : “Nous n'étions pas sur la même longueur d'onde.” Cette discorde, l'avocat des causes extrêmes l'explique dans son refus de la logique même du colonialisme. “Les avocats français (du FLN, ndlr) de la métropole avaient défendu les militants algériens sur une base française, celle instaurée par le statut légal de 1947 (Assemblée formée de deux collèges, européen et musulman, ndlr) (…) En revanche, la position des Algériens, qui était déjà la mienne (…) était radicalement différente ? Nous déclarions que le FLN était une organisation révolutionnaire en lutte pour obtenir l'indépendance nationale.” Mais cet aspect de celui qui a un jour affirmé que “j'ai le culte de moi-même” est très bien connu, pour avoir fait l'objet, maintes fois, d'ouvrages et d'articles de presse (Vergès est l'auteur d'un grand nombre de livres.) Se pose alors cette question : quel intérêt peut par conséquence présenter un tel ouvrage, paru pourtant en 2005 ? Il se trouve qu'aux questions qui lui sont posées dans les six chapitres qui structurent ce livre, l'avocat a déjà répondu. Avec la verve qui lui est connue ! La réponse est peut-être à rechercher dans la préface, signée Philippe Karim Felissi. Car l'auteur, en plus qu'il soit avocat, partage avec Jacques Vergès le métissage. Et c'est de la complexité d'être à la fois algérien et français, selon le pays où il se trouve, qu'il traite dans son introduction. Comme s'il souhaitait dans les paroles de son interlocuteur sa propre catharsis. Comme son aîné, né d'un père réunionnais et d'une mère vietnamienne, Philippe Karim Felissi, né en 1969, est, lui, le fils d'un Algérien et d'une Française. Alors prenant, sans doute, prétexte du jeu des questions auquel s'est livré pour évoquer sa propre expérience, il dira : “Il me fallait dire si ma préférence allait à la France ou à l'Algérie. À ma mère ou à mon père. (…) Plus tard, j'acquis la certitude qu'un métis restait chez certains un objet dérangeant, car difficilement identifiable. ( …)” La préface, donc, est truffée de tels tourments déjà perceptibles chez un enfant et qui deviendront obsédants pour l'adulte qu'il est devenu. Et à la loi française du 23 février de venir ajouter son grain de sel, son pesant de répulsion. D'où ces entretiens. D'où ce livre. SAMIR BENMALEK Jacques Vergès, l'anticolonialiste Entretien avec Philippe Karim Felissi Chihab Editions, 2005. 117 pages, 350 DA.