«Je suis né deux fois. La première quand ma mère m'a eu et la seconde, lors de la Bataille d'Alger...» C'est devant Yacef Saâdi, ancien chef de la Zone autonome d'Alger historique, Zohra Drif, Maître Ali-Yahia Abdennour, Rabah Bitat, la famille de Djamila Bouhired, de nombreux moudjahidine et hommes d'histoire et de culture qu'a été présenté le documentaire L'Avocat de la terreur de Barbet Schroeder. Un film français d'une durée de deux heures retraçant le parcours emblématique et singulier de l'humaniste et avocat, maître Vergès. Un film présenté l'année dernière au Festival de Cannes. Sa projection à la salle Ibn Zeydoun, jeudi dernier, ne pouvait que revêtir l'insigne de l'événement. Et pour cause, le défenseur de la cause algérienne et ex-époux de Djamila Bouhired a été reçu avec les honneurs par la ministre de la Culture Khalida Toumi, qui, fleurs à la main, l'a chaleureusement remercié d'avoir existé et d'exister toujours...Et maître Jacques Vergès de répondre: «Je suis né deux fois. Une fois quand ma mère a accouché et de moi et une seconde fois ici, lors de la Bataille d'Alger.» Et de préciser: «Ce n'est pas un film de commande.» M.Vergès rappellera toute les exactions commises à l'encontre des opprimés par ceux qui ne veulent pas que ces pays obtiennent leur indépendance. Il évoquera les procès, «lieux de crimes pour dénoncer la colonisation devant l'opinion publique. Ce film en dépit de ses faiblesses mérite d'être vu car, malgré les crimes qui continuent à être perpétrés en Palestine, en Irak, et en Afghanistan, on n'en retient pas encore la leçon...» Appuyé d'archives, ce documentaire passionnant nous dévoile d'emblée un homme foudroyé dès sa naissance par le malheur des autres. «Il est né en Thaïlande, de père français et de mère vietnamienne. De ce fait, il ne supporte pas qu'on fasse du mal aux autres. Il est né avec l'esprit d'un colonisé», explique ce journaliste et écrivain français. Et Vergès d'avouer: «Je n'aime pas l'humiliation. Je défendrai de ce fait, y compris mon ennemi s'il le faut..» Une ligne de conduite qui déterminera toute la carrière de maître Vergès en l'acculant vers cette image si redoutable qu'il emporte avec lui, là où il va...Adulé, craint, ou détesté...Maître Brahimi (Ligue des droits de l'homme), Benhamida condamné à mort, Zohra Bitat, présidente du Sénat, Eldjouher Akrour, condamnée à mort, Bachir Boumaâza, ancien ministre et d'autres encore, témoignent dans ce film basé sur les propres appréciations du réalisateur, du parcours de Vergès, de son ascension aux tribunes, depuis qu'il est étudiant en droit à ses nombreuses affaires qui feront date dans l'histoire du terrorisme mondial et sa soudaine disparition de 1970 à 1978, puis son accointance présumée avec le terroriste Carlos et sa compagne Magdalena Kopp. Jacques Vergès s'est rendu également célèbre pour ses convictions anticolonialistes, pour son passé d'ancien résistant, mais aussi pour avoir défendu un auteur de crimes contre l'humanité, Klaus Barbie lors de son procès à Lyon en 1987, mais aussi l'Iranien Anis Nakache et plus récemment Abbassi Madani et Omar Haddad et bien d'autres procès à scandales...Avocat de la terreur et...du diable comme diront certaines langues revêches, l'ex-avocat des détenus du FLN pendant la guerre de Libération nationale, fort de ses convictions, et maître de cérémonie auditoire, indiquera que le procès en justice était perçu pendant la Révolution algérienne comme une arme de guerre contre le colonialisme. L'ex-membre du collectif des avocats du Front de libération nationale a estimé aussi lors d'un point de presse que la défense exploitait le procès pour dénoncer la torture et l'ordre colonial, ajoutant que «c'est ce qui a été fait lors de la défense des poseuses de bombes à Alger». Il indiquera, par ailleurs, que le réalisateur du film, Barbet Schroeder, était libre dans le choix des témoignages, et exprimera toutefois son désaccord vis-à-vis de quelques passages du film. Ainsi, il a estimé que le temps réservé au procès de Carlos et la manière par laquelle il a été présenté «donnent l'impression que les brigades internationales pour la Palestine étaient les véritables dirigeants de cette résistance». Il a, également, marqué son désaccord avec les séquences du film traitant François Djenoud comme un responsable de la résistance algérienne, alors qu'«il a assisté des Syriens à la création de la Banque commerciale arabe en Suisse, qui abritait l'argent du FLN», a-t-il souligné. «François Djenoud n'a jamais été un membre des SS allemands, alors qu'il défendait et d'une manière provocante les idées nazies», a-t-il affirmé, qualifiant la manière dont a été traité ce sujet «d'abus de confiance». Tout en rappelant le constat de Soljenitsyne, quand il avait estimé que «les deux peuples allemand et russe se sont bien remis du totalitarisme d'Hitler et de Staline, alors que les peuples colonisés n'arrivent pas à s'en remettre à cause du déni identitaire qui leur a été imposé», Me Vergès a affirmé que «toute conquête colonialiste est un crime contre l'humanité». Aussi, c'est un maître Vergès, la pipe à la main, avant tout un intellectuel qui n'a pas froid aux yeux qui en découle de ce documentaire bien pertinent mais qui, à quelques égard, jette un peu le discrédit et le doute sur les agissements de Jacques Vergès, comme l'ont été un peu vis-à-vis de lui les médias français. Redoutable autant qu'insaisissable est ce Maître Verges qui finalement, finit toujours par faire parler de lui-même, parti très loin, chez son ami Paul pot au Cambodge, ou juste caché à Paris...Un film qui, en effet, pose des interrogations et pousse le champ au débat et à l'investigation.