Plus de 140 000 moutons ont été égorgés mardi à Alger. Un sacrifice qui n'a pas manqué de générer un tas d'autres sacrifices. Comme chaque année à l'approche de l'Aïd El-Adha, le pays vit au rythme du négoce de l'ovin (objet vivant identifié et négociable). En famille, dans les cafés et partout on ne parle que de ça. Des dizaines de lieux de vente de l'objet du sacrifice sont anarchiquement créés, instaurés et imposés au vu et au su des autorités qui, pour la circonstance, observent une trêve en tolérant cet état de fait. Respect du rite oblige, on devient aveugle devant tout dépassement quels que soient les désagréments qu'il peut entraîner. La capitale, bien que vitrine du pays, ne fait pas exception à ce phénomène où s'ériger en maquignon est une fonction adulée. Si, comme l'ont déjà soulevé beaucoup de confrères, la semaine qui précède le jour “J” est consacrée aux affaires (achat-vente), le jour d'après, soit le lendemain du sacrifice, Alger devient méconnaissable. Ce n'est plus une capitale mais une ville poubelle. Tous les quartiers sont dans un état lamentable. Les cités populaires le sont davantage. Les niches, poubelles et bennes mises à leur disposition par Net Com sont bourrées des restes de l'opération égorgement et dépeçage. Le contenu des panses vidées dans les cours des cités se mélange aux détritus agrémentés de foin. Des sacs en plastiques éventrés livrant au grand jour des “chefs-d'œuvre” de cuisine et servant de curiosité aux animaux errants avant d'en faire un festin. De Belouizdad à Bab El Oued en passant par le centre-ville, le spectacle est le même. La désolation. Même certains quartiers considérés chics dans un passé récent ont fini par s'aligner. MeissonNier, Didouche, Ben M'Hidi ou encore sur les hauteurs à El Biar, Kouba et autres. C'est pareil. Les agents de Net Com ne savent plus où donner de la tête. “C'est le jour que je crains le plus”, dira l'un d'eux et d'ajouter : “Il faut plusieurs voyages pour chaque camion pour venir à bout d'une cité et encore si elle n'est pas très peuplée.” Son collègue avec une mine patibulaire ne mâche pas ses mots pour parler de l'incivisme de certains citoyens. “Nous sommes tous musulmans et nous respectons notre religion autant que nous respectons tout le monde. Néanmoins, ce que nous voyons est révoltant.” il montre un amas d'ordures baignant dans un liquide gluant alors qu'une poubelle vide se trouve à moins d'un mètre de là. Il racontera qu'il a passé la nuit à délirer à cause de la fièvre. Une grippe qui ne le lâche pas depuis des jours. Un troisième vient à la rescousse et lui donne un bon coup de main pour nettoyer l'endroit. Lui aussi finit par craquer. “Le manque de civisme nous contraint souvent à travailler dans des conditions déplorables. Nous comptons beaucoup sur le concours des citoyens qui ne sont pas toujours coopératifs. C'est malheureux de voir la capitale dans cet état. Au lendemain de l'Aïd ? Alger a besoin d'un grand shampooing à cause de la saleté et des mauvaises odeurs tenaces”, fait-il remarquer. Le témoignage de cet agent qui reflète une triste réalité en reste là. Un cri de détresse face à une situation qui n'est pas sans risques sur la santé de la population. Au deuxième jour de l'Aïd, malgré le passage des camions de ramassage, certains quartiers de la ville se parent d'un décor hideux, dégoûtant et repoussant. Au cours d'une discussion avec un élu de l'APC de Sidi M'hamed, ce dernier s'est montré très favorable à l'idée de concevoir par la municipalité des lieux d'abattage avec les commodités nécessaires (eau, conduites d'évacuation, etc…). “Ce n'est pas évident que les citoyens se soumettent à une telle discipline d'hygiène. Nos traditions sont ce qu'elles sont et ce n'est pas facile de les changer sur un coup de baguette. C'est une question de culture”, se ravise-t-il. Il est vrai qu'un tel projet n'est pas pour demain quand on sait qu'au nom du rite et du sacrifice on a toléré cette année la prolifération des bergeries dans les caves, sous-sols et même des vides sanitaires où l'hygiène n'est qu'une vue de l'esprit. “Le malheur est que beaucoup de gens ne font pas le sacrifice conformément au rite. Aussitôt égorgé, le mouton est mis en "pièces" pour remplir le frigo. Rares sont ceux qui appliquent le sens religieux du sacrifice”, dira un vieux, déçu par le comportement de ses voisins. En attendant un hypothétique sursaut pour une prise en charge dans des conditions d'hygiène adéquates du sacrifice, Net Com reste condamné chaque Aïd El-Adha à nettoyer les écuries d'Augias. A. F.