Selon des personnalités américaines qui ont requis l'anonymat, les preuves dont parlait Bush dans son discours sur l'état de l'Union ne tiennent pas la route. Est-ce un coup de bluff du président américain ? Dans sa dernière livraision, le magazine hebdomadaire Newsweek a relevé que de hauts responsables américains mettent en doute le sérieux des preuves que promet George Bush. Ils s'interrogent sur la fiabilité des affirmations des services de renseignements. Ces déclarations viennent conforter les réserves formulées à ce sujet par le chef des inspecteurs de l'ONU (voir notre édition d'hier). Hans Blix avait carrément battu en brèche les arguments avancés par le locataire de la Maison-Blanche. Il s'est notamment demandé pourquoi les Etats-Unis cherchent à déclencher une guerre contre l'Irak au bout de deux mois d'inspection seulement, un délai qu'il juge très court, comparativement aux huit années qu'avaient duré les précédentes inspections, suspendues en 1998. Le Suédois trouve la position américaine très bizarre et se pose des questions sur les motivations réelles du président américain. L'affirmation faisant état de déplacement par les Irakiens des sites que devaient visiter les inspecteurs onusiens d'armes prohibées, quelques heures seulement avant le début des opérations de contrôle, est dénuée de tout fondement, pour la simple raison que les programmes des inspections sont gardés secrets jusqu'au moment du départ des équipes de techniciens. Quoi qu'il en soit, Hans Blix est formel : “Je n'ai rien trouvé en Irak qui justifie le déclenchement d'une guerre.” Cette phrase, qui intervient au bout de neuf semaines d'inspection, n'a été prononcée qu'après mûre réflexion, parce que le spécialiste de l'ONU n'a pas été tendre avec le régime de Saddam Hussein. Au contraire, il a fait preuve d'une grande rigueur dans ses rapports avec les autorités de Bagdad, au point où la presse locale l'avait accusé d'être au service du renseignement américain, lui et ses techniciens. C'est dire que l'homme n'a pas fait de cadeaux à l'Irak et exige quotidiennement davantage de coopération des responsables de ce pays. D'ailleurs, les conditions draconiennes qu'ils ont posées, lui et son coéquipier, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'Egyptien Mohammed El-Baradeï, pour accepter l'invitation des Irakiens afin d'entamer de nouvelles discussions le 8 février prochain dans la capitale irakienne où ils séjourneront pendant deux jours, est la meilleure preuve de son intransigeance à mener à bien la mission qui lui a été confiée. Si la décision de George W. Bush de convoquer le Conseil de sécurité de l'ONU, pour présenter “ses preuves” par le biais de Colin Powell, qui, faut-il le rappeler, a dirigé la guerre du Golfe contre l'Irak en janvier 1991, est accueillie différemment par les membres de l'organe onusien. Bagdad, premier concerné, demande à être partie prenante dans ce conclave, déterminant pour son avenir. Moscou et Pékin, membres permanents du Conseil de sécurité, ont déjà donné leur aval, en attendant la réaction des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Tarek Aziz sera probablement le représentant irakien pour répondre aux accusations et défendre la position de son pays. En attendant cette réunion, les spéculations vont bon train parmi les observateurs de scène internationale. Certains y voient le déclenchement du compte à rebours pour le lancement des offensives militaires contre l'Irak, alors que d'autres estiment qu'il ne s'agit là que d'un coup de bluff du président américain. Le monde sera fixé dans quarante-huit heures. K. A. Bagdad critique les régimes arabes Le vice-président irakien Taha Yassine Ramadan a critiqué samedi la position arabe officielle à l'égard des menaces américaines contre son pays et s'est dit “confiant” dans la position populaire, estimant qu'elle constituait une “bombe à retardement”. “Si la position arabe (officielle) était vraiment nationaliste, l'Administration américaine n'aurait pas poursuivi son agression contre la nation, en soutenant l'entité sioniste dans le massacre quotidien du peuple palestinien et par ses menaces d'agression contre l'Irak”, a déclaré M. Ramadan dans un entretien à la télévision satellitaire irakienne. “La faiblesse de la position arabe officielle est un facteur qui encourage l'Administration américaine à poursuive son agression contre la nation, en Irak, en Palestine et partout ailleurs”, a-t-il poursuivi. “Il faudrait que les dirigeants arabes se réunissent chaque semaine et discutent de ce qui peut empêcher cette agression (...). Il faudrait que l'Administration américaine réalise que cette nation fera bloc en cas d'agression” contre l'Irak, a-t-il dit. M. Ramadan s'est en revanche félicité de la position populaire arabe à l'égard des menaces américaines. “J'ai confiance (dans la position populaire). Je suis sûr que c'est une bombe à retardement face à l'agression américaine, au cas où elle se produirait”, a-t-il assuré. PLAN D'ATTAQUE AMERICAIN 3 000 bombes et missiles en 48 heures Les initiatives diplomatiques se multiplient pour tenter d'éviter une guerre dans le Golfe, alors que le plan d'attaque américain se précise, à trois jours de la présentation à l'ONU par les Etats-Unis de leurs “preuves” concernant les programmes irakiens d'armes de destruction massive. Selon le New York Times, le Pentagone a l'intention de lâcher 3 000 bombes et missiles sur l'Irak dans les premières 48 heures de la campagne, de façon à briser le moral de l'armée et à créer un choc au sein du pouvoir politique. D'autres informations recueillies par l'hebdomadaire britannique The Observer dans son édition dominicale indiquent que les raids des bombardiers américains viseront en premier lieu les palais du président Saddam Hussein et d'autres symboles de son régime, afin de convaincre le peuple irakien que la guerre n'est pas dirigée contre lui, mais contre le régime Baas. Face à ces menaces, auxquelles Bagdad répond par celle d'exterminer “un million de soldats” américains en cas de débarquement aérien, les partisans de la paix se mobilisent. Des milliers de manifestants ont défilé samedi en Allemagne, en France, à Chypre, tandis que l'organisation de protection de l'environnement Greenpeace s'efforçait de bloquer dans le port de Southampton (sud de l'Angleterre) le départ d'un navire militaire de ravitaillement pour le Golfe. Au Caire, les présidents égyptien Hosni Moubarak et algérien Abdelaziz Bouteflika ont fait connaître à l'issue d'un entretien leur opposition à une guerre contre l'Irak, soulignant “la nécessité de tout faire pour épargner au peuple irakien une opération militaire”. En Afrique du Sud, l'ancien ministre des Affaires étrangères Pik Botha a annoncé qu'il allait prochainement se rendre en Irak pour tenter de convaincre le président Saddam Hussein de coopérer pleinement avec les inspecteurs en désarmement de l'ONU. Son initiative jouit du “soutien total” de l'ancien président Nelson Mandela. Le chef de la diplomatie grecque Georges Papandréou, dont le pays assure la présidence européenne, devait entreprendre de son côté dimanche une tournée dans plusieurs pays arabes, à commencer par Damas, pour s'entretenir de la crise irakienne. Quant au gouvernement turc, il a fait savoir samedi qu'il n'avait pas l'intention dans l'immédiat de demander au Parlement son approbation pour un déploiement de troupes américaines sur son sol ou l'envoi de soldats turcs à l'étranger dans l'éventualité d'une guerre en Irak. Au terme des entretiens que le Premier ministre britannique Tony Blair a eus vendredi à Washington avec le président américain George W. Bush, les Irakiens disposent encore d'un délai de quatre à six semaines supplémentaires pour désarmer. M. Blair fera le point de la situation mardi avec le président français Jacques Chirac à l'occasion d'un sommet franco-britannique prévu au Touquet, dans le nord de la France.