Recep Tayyip Erdogan, leader de l'AKP, le parti de la Justice et du Développement, une formation islamiste qui a raflé les sièges du Parlement turc le 3 novembre dernier, avec près de 35% des voix, risque de reconduire l'épisode Erbakan, et se voir propulser Premier ministre au pays d'Atatürk. Rappelons que Tayyip Erdogan avait été frustré d'une députation à portée de “barbe” pour avoir été empêché de participer aux législatives qui avaient sacré l'AKP champion de Turquie pour ces joutes. Erdogan avait été empêché de participer à ces élections pour avoir fait l'objet d'une interdiction judiciaire. En effet, l'homme avait été condamné en 1998 pour “incitation à la haine religieuse”. Il avait fait quatre mois de prison pour avoir tenu ces propos, à l'occasion d'un meeting : “Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques et les mosquées nos casernes !” Ce rebondissement, convient-il de le souligner, se justifie par l'annulation, par le Haut Conseil électoral, des mandats de trois députés, dans la province de Siirt (sud-est du pays) pour vices de procédure, suite à un recours déposé par l'AKP. Des élections partielles vont être organisées le 9 mars prochain pour pourvoir les trois sièges vacants, ce qui est une aubaine inespérée pour le gourou du parti islamiste. Préalablement, les parlementaires AKP avaient pris le soin (déjà) de faire un nettoyage institutionnel en introduisant des amendements dans la Constitution levant l'interdiction sur les candidats ayant fait l'objet d'une condamnation, ne retenant que ceux frappés d'une interdiction pour terrorisme. L'actuel Premier ministre Abdellah Gul, le number two de l'AKP, pourrait donc fort probablement céder son siège à son “boss” dans les tous prochains jours. Car si Erdogan venait à rafler les suffrages dans sa circonscription (ce qui tient de la lapalissade), il serait aussitôt porté à la charge suprême, le régime politique turc étant une démocratie parlementaire. “Notre président sera candidat à la députation à Siirt et entrera inch'Allah le 10 mars à l'Assemblée nationale”, déclare, péremptoire, le vice-premier ministre, Mehemet Ali Sahin. L'arrivée d'Erdogan au pouvoir surfe sur une conjoncture internationale favorable. Les Etats-Unis, qui, comme chacun sait, mènent le bal, sont très copains avec les Turcs en ce moment, sans se soucier de la couleur politique de leur vis-à-vis. Et pour cause : dans la perspective d'une offensive militaire contre l'Irak, la Turquie est un allié précieux. Rappelons que Washington avait demandé officiellement à Ankara l'autorisation de passer par son territoire. Après un temps de réflexion, la Turquie a finalement donné son accord pour le passage de 20 000 soldats US par ses terres pour l'ouverture d'un second front dans le nord de l'Irak. Non seulement Washington reconnaîtra de facto Erdogan, mais, qui plus est, comme elle l'a fait pour Pervez Musharraf, elle va faire montre d'une grande “prodigalité” au chapitre de l'aide financière, et pourrait même effacer la dette militaire turque qui s'élève à six milliards de dollars. Après, l'UE ne pourra qu'applaudir cette “alliance du pire”, surtout après le soutien exprimé par 8 pays parmi les 15 à l'option belliqueuse du président Bush. Que faut-il retenir de tout ce micmac ? A la faveur de ce “coup d'Etat constitutionnel”, l'ancien maire d'Istanbul est sur les traces d'Erbakan, leader du parti religieux Refah, et premier islamiste à accéder à la responsabilité suprême par la voie des urnes. Un fiasco pour les généraux laïcs qui, comme notre Lamari national, se sont visiblement résignés à donner le flanc au renard intégriste. Les islamistes “modérés” ont toujours fait du tremplin démocratique, la “voie royale” vers la dawla islamiya. La manière dont les parlementaires islamistes turcs ont contourné la condamnation qui avait frappé leur leader nous donne à méditer sur les limites des garde-fous constitutionnels devant les manœuvres sournoises des partis religieux. La démocratie montre une nouvelle fois son extrême fragilité face à la tentation totalitaire, portée par ceux qui n'adhèrent à ses principes qu'à titre tactique. Faut-il un nouveau putsch militaire en Turquie, à l'instar de celui qui, le 28 février 1997, avait évincé Erbakan et replongé le Refah dans la clandestinité ? Les pays musulmans sont-ils donc condamnés à osciller éternellement entre le turban et la casquette ? Un vrai casse-tête turc !... M. B.