Est-ce trop d'être rebelle quand on a été bercé dès notre tendre enfance par les combats de libération, de lutte contre la ségrégation raciale et l'anti-impérialisme. Mustapha Boutadjine, plasticien artistiquement incorrect, qui a connu tout cela et l'exil en prime. “Blacks et partisans”, sa collection, qu'accueille la bibliothèque nationale jusqu'au 10 février, est une conjugaison de l'artistique et de l'engagement politique. Rien ne prédestinait Mustapha Boutadjine, l'enfant de la Glacière, quartier populaire à l'est d'Alger, à une belle carrière artistique. Mustapha Boutadjine ne chante pas, comme le veut la tradition, qui souvent, en l'absence de perspective et un peu de chances, beaucoup de jeunes sans talent particulier deviennent des stars l'espace d'un été. Il est designer s'il vous plaît. Né le 16 mai 1952, l'enfant a goûté à ce bonheur extrême qu'est l'indépendance. Diplômé de l'Ecole nationale des beaux-arts d'Alger en architecture d'intérieur, Mustapha Boutadjine cumule les diplômes et les “fonctions” : Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, DEA en esthétique et sciences de l'art à Panthéon Sorbonne, maître assistant et chef département de design, enseignant associé à l'école polytechnique d'architecture et d'urbanisme d'Alger et on ne sait quoi d'autre. Mais Mustapha Boutadjine est avant tout une âme sensible qui traduit son engagement ferme par le beau. Son exposition Blacks et partisans, qui se poursuit à la bibliothèque nationale du Hamma, est un espace convivial où se côtoient Ali La pointe, le chef de la guérilla urbaine à la Casbah , Henri Maillot, Dulcie September, Frantz Fanon, Malcolm X, Abane Ramdane et bien d'autres militants des causes justes. Car c'est une double exposition que nous propose Boutadjine, celle des nationalistes algériens, dont ceux d'origine française, et celle des figures de proue du combat des Balcks. Et des figures, Boutadjine en a choisi les plus expressives : la rage de Mohamed Ali, la fierté d'Angela Davis, le sourire de Djamila Bouhired et Louis Armstrong, la sérénité de Frantz Fanon et Kateb Yacine… Des héros, des artistes ou des sportifs dont l'acte héroïque, l'œuvre ou la réussite ont marqué l'histoire de l'humanité. Des visages qui interpellent les mémoires et les plus profonds souvenirs quand ils ne renvoient pas à une histoire douloureuse. Ornés d'un encadrement classique, les collages, car c'est de collage et de graphisme qu'il s'agit, sont comme un album de famille où les visages nous sont familiers, même celui du sénégalais Abdulaye Sadji dont on ne connaît pas grand-chose de son combat ou encore la voix des sans voix, le journaliste américain Mumia Abu jamal. Des gens pour lesquels on est pris de compassion, de tendresse ou simplement de reconnaissance. Avant de coller, Boutadjine déchire, un acte qui lui procure du plaisir, parce qu'il tient à souligner qu'il déchire de ses mains. Sa cible, ce sont les magazines de publicité qui lui servent de matériaux et qu'il s'engage à détourner de leur fonction initiale pour rappeler l'histoire et dénoncer un monde qui ne semble pas très à son goût. Et c'est peut-être cette révolte et cet engagement qui font que Mustapha Boutadjine soit toujours cet enfant de la glacière qui a aimé dessiner. Wahiba Labrèche