“À la place du dialogue des cultures et de l'alliance des civilisations, certains milieux ‘étroits', dans tous les sens du qualificatif, ont hélas répondu par des caricatures infâmes blessant la croyance de plus d'un milliard d'êtres humains, ou encore par le strip-tease insolent d'un ministre italien démissionné.” Quelque peu révolté mais diplomate jusqu'au bout des ongles, le ministre algérien des Affaires étrangères Mohamed Bedjaoui est convaincu que la construction de l'espace euroméditerrannéen, devenu impératif au regard des ensembles qui se construisent à travers le monde, doit battre en brèche les clichés qui s'installent subrepticement dans certains esprits malintentionnés, particulièrement occidentaux. Une mission qui incombe en premier chef, à ses yeux, aux sociétés civiles des deux rives du bassin méditerranéen dont le mérite est d'avoir initié “l'ardent projet”. Dans un discours d'une rare éloquence, que peu lui connaissaient et qui a forcé l'admiration d'un aréopage “très averti”, pour reprendre son expression, prononcé hier à l'ouverture des travaux du Congrès du dialogue Nord-Sud sur la Méditerranée à Alger, le diplomate algérien a mis en exergue les vertus du dialogue, ce “phénomène qui fait le plus cruellement défaut”, comme a-t-il dit, ici et là dans notre “pauvre monde atteint par le syndrome du bateau ivre recru de violences, d'intolérances et d'exclusives”. Un dialogue qui doit être mis, selon lui, au service de la construction de l'espace méditerranéen, devenu une nécessité dans le monde d'aujourd'hui. “Un ensemble européen amarré à la ‘mare nostrum' Méditerranée modifierait donc sensiblement les perspectives et placerait ce regroupement, selon toute probabilité, en meilleure position dans le nouveau concert des ensembles géants que la plus élémentaire prospective permet aisément d'imaginer”, a-t-il estimé en promettant la disponibilité des pays de la rive sud, particulièrement l'Algérie, pour ce projet. “Amis européens, partez gaillardement vers cet horizon, vous nous trouverez fidèles à ce rendez-vous historique majeur qui conjuguerait parfaitement nos intérêts respectifs et les marquerait du sceau d'une grande vision commune de l'avenir”, a-t-il affirmé en référence au slogan du congrès. Cependant, la construction de l'espace euro-méditerranéen n'est pas une mince entreprise à l'ombre des clivages qui séparent les deux rives. Au retard économique du Sud, il faudrait ajouter, soutient l'ancien président de la Cour internationale de La Haye, qu'“une frontière s'établit hélas aujourd'hui entre le Nord et le Sud, spécialement entre l'Occident et l'Islam dans tous les domaines et même, suprême dommage, dans tous les esprits. Une ligne de partage, de séparation et d'affrontement qui est tout le contraire d'un espace d'échange et de dialogue se construit. Ainsi de part et d'autre (…), les esprits se muent dans leurs certitudes contraires. Ainsi la Méditerranée, champ historique des guerriers, espace finissant des marchands, horizon encore envoûtant des prophètes, lieu longtemps privilégié des légistes, a épousé aujourd'hui un destin de langueur et d'incertitude”. Selon lui, la rive nord voit dans l'Islam de la rive sud “une menace et un risque”. Sans compter l'existence de “forces centrifuges”. Sur un autre plan, il a exprimé les regrets sur le raidissement injustifié de la politique communautaire et européenne en général sur la question de la circulation des personnes. Dès lors, aucune coopération n'est possible. C'est pourquoi, il appelle à un “renouvellement de la perception des exigences du bon voisinage” et affirmé la disponibilité de l'Algérie à contribuer à une véritable revitalisation du partenariat. Qui pourra proposer à la Méditerranée un nouveau destin ? La société civile. “Votre action s'ajoutera comme un puissant adjuvant à l'action des politiques”, a-t-il dit avant de conclure sous un tonnerre d'applaudissements : “L'alternative pour les deux rives est claire : s'associer et devenir une région majeure du globe.” De son côté, Pat Cox, président du Mouvement européen international, l'un des initiateurs du congrès au côté du Comité Algérie de la Bibliothèque d'Alexandrie ainsi que la Fondation euroméditérannéenne Anna-Lindh pour le dialogue entre les cultures a plaidé pour la conception d'actions communes pour fonder un véritable partenariat. M. El-Sayed Yassin, conseiller du directeur de la Bibliothèque d'Alexandrie, a pour sa part appelé au dialogue des cultures aux lieu et place, à ses yeux, du “choc des civilisations”. D'autres interventions (des représentants de Belgique, France, Italie, Espagne, Danemark, Allemagne, Suède, Egypte, Liban…) sont également prévues, alors que des ateliers ont été installés dont l'objectif final est la rédaction de la déclaration d'Alger, un condensé de remarques et de propositions sur le dialogue pour la construction de l'espace méditerranéen. Le congrès va durer trois jours. KARIM KEBIR