Dans son discours prononcé jeudi à l'occasion du 50e anniversaire de la création de l'UGTA, le chef de l'Etat a invité les partenaires du gouvernement à se réunir pour trancher la question des salaires. Après une absence de longs mois de la scène publique pour cause de maladie, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a frappé fort les esprits, dans son discours à la nation, jeudi dernier au Palais des nations, à l'occasion du 50e anniversaire de la création de l'UGTA. Affichant une ferme détermination à assumer ses fonctions de premier magistrat du pays jusqu'à la fin de son mandat en 2009, il a rassuré, au début de son intervention, sur son état de santé, que la rumeur disait chancelant. “Je suis guéri. Il n'y a plus de place à la spéculation”, a-t-il répété par trois fois, d'une voix qui n'admettait aucune équivoque. Pendant presque deux heures, il a tenu en haleine une assistance très nombreuse — formée essentiellement de syndicalistes mais aussi des membres du gouvernement, de parlementaires et de quelques organisations de la société civile —, sans défaillir une seule fois. Il a même réussi à faire frémir les responsables de l'UGTA, à leur tête le secrétaire général Sidi-Saïd, quand il a appuyé franchement la position de son Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, quant au rejet de l'option des augmentations de salaires des travailleurs et surtout du relèvement du SNMG (Salaire national minimum garanti). “ Ahmed Ouyahia, ici présent, a pris des décisions dictées par la conjoncture économique. J'aurais agi de même (…). Celui qui n'a rien ne peut rien donner”. Le chef de l'Etat a justifié le rejet net de la revendication inhérente aux augmentations des salaires par un impératif de mettre à profit la manne financière, engrangée grâce à l'envolée des prix du baril du pétrole, pour prendre en charge les priorités de l'heure et surtout éviter les erreurs du passé. “Le poids excessif de l'endettement extérieur a non seulement compromis la croissance — celle-ci a été négative sur presque toute la période 1986-1994 —, mais il a aussi considérablement limité la liberté de choix de l'Algérie, ce qui a conduit, à partir de 1994, au rééchelonnement de la dette extérieure et à son corollaire, la mise en œuvre d'un programme d'ajustement structurel, dont les stigmates sont encore sensibles”. Au regard du chef de l'Etat, l'urgence consiste à “maîtriser l'endettement extérieur pour éloigner le risque de retomber dans la situation de vulnérabilité que nous venons de vivre. Ce qui implique d'abord de limiter au maximum le recours à l'endettement extérieur et de financer toutes les dépenses sur nos ressources propres. Puis à réduire le poids de la dette, en procédant, autant que faire se peut, à son remboursement anticipé”. Evalué à la fin de 2005 à 15,7 milliards de dollars, l'encours de la dette extérieure devrait tomber, selon le président Bouteflika, à 13,9 milliards de dollars à la fin du mois de mars prochain. Après avoir sérié les réalisations accomplies en sept ans (réduction du taux de chômage, construction de près de un million de logements, édification de nombreuses structures pour l'éducation nationale et l'enseignement supérieur…), le chef de l'Etat a exposé les défis qui attendent le pays pour sortir de l'ornière du sous-développement et de l'assujettissement au financement extérieur. À partir de là, il a carrément soutenu que la persistance des travailleurs à exiger inconditionnellement l'amélioration de leurs revenus mensuels menacerait la stabilité de l'économie nationale et par là même du pays (il avait commencé par rappeler que l'Algérie vient à peine de sortir d'une longue période de violence). “Il faut bien se convaincre qu'une augmentation générale des revenus du travailleur, sans contrepartie d'une amélioration du niveau réel de productivité, menacerait la stabilité macroéconomique rétablie au prix de longues années d'efforts et de souffrance”. Il a ajouté qu'une telle opération mettrait également en péril “la viabilité de nombreuses entreprises, avec tous les effets que l'on peut imaginer sur le niveau de l'emploi”. Pour étayer ses assertions, il a indiqué que “les augmentations de salaires et de régimes indemnitaires, intervenues, particulièrement dans le secteur public (la dernière hausse du SNMG ayant eu lieu en janvier 2004), ont alourdi les charges de l'Etat et des entreprises publiques dont certaines ont, dans le même temps, été contraintes de procéder à des compressions d'effectifs”. La sentence du premier magistrat du pays est donc sans appel. Le gouvernement ne consentira plus de hausses de salaires sur le budget de l'Etat. Sans laisser à la salle le temps d'assimiler la profondeur de cette annonce, il a asséné une autre vérité : l'augmentation des revenus des travailleurs des secteurs publics serait tributaire, désormais, du taux de la croissance économique, de celui de l'inflation et surtout de la productivité et des performances financières des entreprises. “Le niveau et la qualité de la croissance sont déterminés, pour l'essentiel, par la productivité du travail. La relation salaire-productivité doit désormais s'imposer à tous (…) Force est de constater qu'en matière de productivité du travail, l'économie algérienne est même au-dessous des standards régionaux”. Se montrant davantage moralisateur, le président Bouteflika a conseillé de ne pas céder “en cette période d'aisance financière toute relative, une nouvelle fois aux sirènes de la démagogie, du laxisme et de l'affairisme débridé, alors que la conjoncture actuelle du marché des hydrocarbures risque de se renverser, à tout moment”. Il a alors incité les partenaires sociaux à adopter “une position réfléchie, pondérée et nuancée qui privilégie l'intérêt collectif du monde du travail et celui de la nation sur les intérêts catégoriels”. Une déclaration qui a jeté un froid dans l'immense salle des conférences du Palais des nations. Il a fallu que le président Bouteflika commente cette réaction mitigée par une boutade pour que les participants consentent des applaudissements. Cet incident n'a pas gêné outre mesure le conférencier. Il a continué à égrener ses recommandations sur les priorités à ne pas perdre de vue et sur les risques sous-jacents à une réponse rapide et “non réfléchie” aux attentes des travailleurs. C'est seulement au terme de son discours, qu'il a mis un petit bémol à son intransigeance. Il a exhorté le gouvernement et a invité plus courtoisement la Centrale syndicale et les organisations patronales à reprendre, très vite dans le cadre d'une tripartite, les discussions sur les questions salariales. “Nous attendons d'eux la finalisation du Pacte national économique et social qui constituera une nouvelle avancée pour notre pays en lui offrant un cadre de référence pour l'avenir du développement national”. Fidèle à sa logique, le président de la République a souligné que “notre pays a déjà connu des périodes favorables en matière de prix des hydrocarbures, mais il a aussi déjà payé un lourd tribut en l'absence d'anticipation lucide qui a été à l'origine de ses graves difficultés financières, de ses tourmentes et, en partie, de la tragédie nationale”. Il est à retenir, néanmoins, que tout au long de son discours, Abdelaziz Bouteflika n'a eu de cesse de montrer et démontrer que les malheurs de l'Algérie disparaissent “progressivement mais sûrement”, depuis son accession à la magistrature suprême en avril 1999. Souhila H.