Dans un cabinet de psychothérapeute, des personnages crachent des mots pour dire leurs maux. Le lieu n'est que prétexte pour une Algérie plurielle. La thérapie scénique se poursuit pour Sonia qui quitte la peau de Fatma, la femme de ménage qui raconte ses misères quotidiennes, pour se mettre dans celle de la psychologue qui décortique les maux et les tabous de sa société. Lasse d'avoir à écouter les interminables histoires de ses patients, la psy décide de ne recevoir aucun malade et s'adonne à une séance d'automédication. Pour parler de ses préoccupations quotidiennes, elle va jusqu'à incarner les personnages qu'elle voit défiler à longueur de journée. Des personnages issus d'une société complexe et pleine de contradictions que le public va découvrir durant une heure de temps. Un espace temporel où des personnages atypiques vont se succéder pour se confesser chez la psychothérapeute. Tout se brouille dans la tête du médecin qui immerge dans un délire interminable. Une démence momentanée s'empare d'elle pour incarner à tour de rôle plusieurs personnages : la voisine chouafa (sorcière) qui est un personnage caricatural. La tête enturbannée dans un grand foulard, la bonne dame traîne son gros postérieur, mais sa vulgarité et son ignorance ne l'empêchent pas d'être au fait des règles de la concurrence commerciale. Elle est consciente que la psy constitue une véritable menace pour son affaire. Puis entre en scène, le frérot trabendiste, un opportuniste en kamis qui squatte le hall de l'immeuble pour vendre ses babioles importées d'un peu partout, et qui n'hésite pas à s'investir en moraliste, tentant de convaincre sa voisine du danger qui l'attend dans l'Au-delà. Il va jusqu'à proposer ses services pour remettre la pécheresse qui est un médecin sur le droit chemin. Celui de la charia. Sonia s'investit pleinement dans ses personnages, l'un d'entre eux, est une bourgeoise des temps révolus. Madame vient non pas pour consulter mais parce que son caniche souffre de déprime. Un look d'un autre temps mais aussi un discours qui ne laisse aucun doute sur ce que madame pense des nouveaux riches qui l'asphyxient. Il y a aussi Latou, l'homosexuel. Si à la maison le jeune homme est le fils que ses parents ont toujours souhaité, un homme, un vrai, dehors, il se métamorphose en Latifa. Un dédoublement de personnalité qui dénude les tabous d'une société schizophrénique. Le dernier personnage est un jeune homme au look qui ne trompe pas, casquette à l'envers… “Visa mon rêve” résume sa vie et ses aspirations. Si les personnages choisis par Sonia sont représentatifs d'une Algérie pluri-culturelle et sociale, elle ne saurait être complète sans un personnage représentant le drame qui a le plus marqué le pays ses dernières années. Une victime du terrorisme, le plus grand drame qu'a connu l'Algérie indépendante. Le jeu subtil de Sonia a mis en mouvement des personnages dans lesquels les Algériens peuvent se reconnaître. Il est à souligner la force du texte signé Nadjet Tibouni. Dans un langage simple, l'auteur a su naviguer entre les différents niveaux d'instruction, classes sociales, appartenances culturelles et positions politiques. Le tout conjugué à une mise en scène pratique de Richard Demarcy, qui a assuré la permutation d'un personnage à un autre. La pièce sera présentée le 8 mars à la salle El Mouggar. W. L.