Des youyous, des cris au nom d'“Allah Akbar” et des pleurs accueillaient la dépouille du jeune Fayçal tué, avant-hier tôt dans la matinée, dans le commissariat de police de la ville de Zéralda, à quelques kilomètres à l'ouest d'Alger. Après plusieurs heures d'attente durant lesquelles les va-et-vient de ses proches ne cessaient pas entre la maison et l'hôpital, la dépouille du jeune, dont la mort avait donné lieu à des émeutes au centre-ville, arrivait enfin au domicile. Dans la maison paternelle, de style colonial, sise au flanc de l'autoroute, à un jet de pierre de la résidence d'Etat, il y avait foule hier. Des femmes, des jeunes, des proches mais aussi des amis du défunt arrivaient par grappes. L'émotion est à son paroxysme. Tandis que certains se perdaient en conjectures sur les circonstances de sa mort, d'autres se chamaillaient s'il fallait faire la Prière du mort à la mosquée ou au cimetière. “C'est un musulman, on va prier à la mosquée !” crie à la cantonade l'oncle du défunt, Ahmed, un homme d'une grande carrure, la quarantaine consommée et vêtu dans le pur style des “islamistes”. Le père de Fayçal, sexagénaire, lui, préfère que la prière soit faite au cimetière, histoire sans nul doute de ne pas prêter le flanc aux dérapages, eu égard à la tension ambiante. “J'ai peur que ça dégénère”, confie-t-il. À une agence étrangère qui l'interrogeait sur les circonstances de l'assassinat de son fils, il l'exhorte à consulter les journaux. “J'ai tout dit !” explique t-il. “Essayer de le raisonner, on va prier au cimetière !” crie un autre vieux, l'air un peu embarrassé de l'attitude d'Ahmed. Des confidences, distillées au compte-gouttes par des proches de Fayçal, affirment que les autorités ont invité son père et toute la famille à organiser la cérémonie de recueillement à la maison et la prière au cimetière. Il faut dire que la crainte des débordements était perceptible et la tension dans l'air. Beaucoup pariaient que la situation risquait de se corser au regard de la colère qui a happé cette foule nombreuse venue rendre hommage à celui qui était considéré comme un simple homme pieux et travailleur. De la tension était perceptible même dans la matinée en ville. En effet, des policiers et des brigades antiémeutes étaient postés en plusieurs endroits, alors que certains magasins avaient baissé rideau. Le commissariat sis à 300 mètres à vol d'oiseau de la demeure du défunt était entouré d'un impressionnant dispositif, alors qu'à proximité du bidonville, non loin de là, qui fait face au Centre… des affaires, des camions et des fourgons de police étaient stationnés pour parer à toute éventualité. Dans la mosquée Bachir-Ibrahimi, l'imam appelait, de son côté, la population au calme. “L'enterrement risque de tarder, je vous demande de rester calmes”, dit-il. Vers 15 heures, le cortège funèbre, estimé à plusieurs centaines de personnes, s'ébranle du domicile mortuaire en direction du cimetière à proximité de la résidence d'Etat, sous les youyous des femmes et des cris “Allah Akbar”. Sous une surveillance policière impressionnante — des renforts sont venus même d'Alger — et des gendarmes, le jeune Fayçal sera mis en terre dans un climat d'émotion extrême. “Je vous prie de rentrer chez vous et de ne pas provoquer de grabuge”, suppliait le cheikh chargé d'officier la Prière du mort. Pourtant en dépit de cet appel, des jeunes se sont rassemblés, juste après, à proximité du bidonville pour exiger des policiers la libération de nombreux des leurs arrêtés la veille et hier matin, selon des témoignages. Une requête à laquelle accéda un officier puisqu'il promit à quelques représentants qu'ils “vont être libérés”. À l'heure où nous mettons sous presse, on ignore si les personnes arrêtées, évaluées à plusieurs dizaines, sont libérées. Si la tension a semblé baisser, que le calme revenait progressivement, les discussions n'ont pas cessé pour autant sur les circonstances de cette mort qualifiée d'“absurde”. D'ailleurs, peu avant l'arrivée de la dépouille, l'oncle du défunt révélait que peu avant le drame, un policier qui travaillait à l'hôpital, comme lui, s'est rendu au commissariat avant de revenir blessé. Selon lui, le jeune Fayçal a été tué à “l'extérieur du commissariat”. “J'ai constaté qu'une balle l'a touché au cœur. Quant aux deux policiers, ils étaient légèrement blessés”. “Des riverains ont entendu dire ‘ça y est, il est mort'”, ajoute-t-il. “Deux balles !” crie une femme avant qu'on l'invite à se “taire”. Et “la dulcinée ?”, à l'origine de ce drame, selon les témoignages. “On m'a dit qu'elle a été arrêtée puis relâchée”, explique Ahmed. “En tout cas, nous allons déposer une plainte”. Espérons seulement que l'enquête élucidera cette affaire qui a mis en émoi et ébranlé Zéralda en l'espace de deux jours… KARIM KEBIR