La démocratie et la liberté promises par George W. Bush au peuple irakien demeurent à l'état de promesses dans un pays ravagé par la violence et paralysé sur le plan politique. Aujourd'hui, les Irakiens redoutent beaucoup plus l'éclatement de leur pays. Plus de trois mois après l'élection du Parlement, le processus politique entamé sous la direction des Américains a atteint un stade de blocage total. Kurdes, sunnites et chiites sont dans l'incapacité de s'entendre sur le nom du futur chef du gouvernement. Ibrahim al Jaâfari ne faisant plus l'unanimité, les chefs politiques irakiens n'arrivent pas à s'entendre sur une coalition pour gérer le pays pendant les quatre prochaines années. Kurdes et sunnites ont peur de l'instauration d'une dictature chiite. Outre ce problème politique prévisible en raison des différends entre les trois communautés, la violence quotidienne constitue l'autre hantise des Irakiens. Nul n'est en mesure de s'avancer sur l'avenir de l'Irak. “Après ces trois ans, personne ne peut prédire à quoi ressemblera l'Irak dans trois mois”, estime l'analyste irakien Walid al Zoubaïdi, pour lequel une des plus grandes inconnues demeure un calendrier de retrait des forces américaines et de la coalition. Plus pessimiste, Judith Yaphe, ancienne analyste de la CIA au Collège national de défense américain, ne s'attend à aucun changement dans la situation prévalant en Irak dans un avenir proche. “Je vois la situation actuelle — l'insurrection et la violence — continuer durant la prochaine période prévisible. Je ne sais pas combien de temps durera cette période”, affirme-t-elle. Henner Fuertig, spécialiste de la question irakienne à l'Institut allemand des études sur le Moyen-Orient, prévoit quatre scénarios. Selon lui, le meilleur est le succès du plan prévu par les Américains, le pire serait une guerre civile sur laquelle se grefferait un conflit de civilisation entre musulmans et Occidentaux. Les violences interconfessionnelles qui ont éclaté depuis l'attentat commis le 22 février contre la mosquée d'or de Samarra, lieu sacré pour les chiites, n'ont fait qu'accroître les craintes quant à un enfoncement dans la guerre civile, qui semble de plus en plus probable. Leur avenir plein d'incertitudes, les Irakiens se préparent au pire. Alors que certains s'arment pour pouvoir se défendre en cas d'un déchaînement de violences, d'autres, minoritaires dans la région où ils résident, fuient leurs domiciles ou se rendent à l'étranger pour ceux qui ont les moyens. Quant aux forces irakiennes que forment les Américaines, et qui sont loin d'avoir fait leurs preuves sur le terrain, certains y voient une source de division en cas d'un conflit généralisé, en raison de leurs appartenances ethniques ou communautaires. Des analystes vont jusqu'à penser qu'il faudrait éventuellement envisager une division de l'Irak à l'amiable pour éviter une violente rupture. “Si dans trois ans il y a trois Irak, dans cinq ans il y en aura cinq ou dix”, estime un diplomate européen à Bagdad. “Je ne vois aucun camp prêt à faire des concessions”, insistera Judith Yaphe. “Plus le temps passe (...) et plus il est difficile de trouver une solution car du sang a été versé”, déclarera Pierre-Jean Luizard, spécialiste français de l'Irak au Centre national de la recherche scientifique (Cnrs). De retour d'Irak, il ne se fait plus d'illusions, car ajoute-t-il : “La situation est désespérée.” Selon lui, “la reconstruction est vouée à l'échec. L'Irak est condamné à une guerre civile sans fin”. Pour la majeure partie des spécialistes, une chose est sûre, il est impossible de faire des prévisions à long terme concernant l'Irak. Reste à savoir maintenant, si les politiques irakiens parviendront à atténuer la crise, comme le souhaitent les Américains, à travers la mise en place d'une coalition capable de rester en place pendant quatre ans et des forces de sécurité bien organisées pour se passer des forces de la coalition dans les meilleurs délais. K. ABDELKAMEL