Tout un symbole pour une région où cohabitaient toutes les religions. Hasard du calendrier, la messe organisée à la mémoire des sept moines trappistes au monastère de Notre Dame de l'Atlas, à Tibhirine, huit ans après le tragique événement, a coïncidé avec la grande prière hebdomadaire du mercredi. Tout un symbole pour une région où cohabitaient toutes les religions. Le 21 mai 1996 reste une date à très forte charge symbolique pour l'ensemble de la communauté chrétienne d'Algérie et même d'ailleurs. Une communauté qui a payé un fort tribut au terrorisme, puisqu'elle déplore la perte de pas moins de 18 victimes, dont six religieuses, assassinées entre l'année 1994 et 1996. Après cinquante-cinq jours de captivité dans les camps du sinistre Djamel Zitouni, émir national du GIA, le bulletin El-Ansar du GIA annonce la mort des sept moines trappistes, enlevés la nuit du 27 mars de la même année. Le communiqué signé par Djamel Zitouni lie cette fin tragique à l'échec des négociations avec les autorités françaises. Celles-ci sont accusées d'avoir fait capoter les négociations entamées à partir du 30 avril 1996, c'est-à-dire un peu plus d'un mois du rapt. Les tractations, longtemps gardées secrètes, ont débuté avec l'envoi d'un messager de Djamel Zitouni à l'ambassade de France, porteur de «preuves matérielles» attestant que les moines sont toujours vivants. La preuve matérielle est une cassette-audio où le GIA revendique l'enlèvement ainsi que la mort des sept moines. L'enregistrement remonte, selon des sources françaises qui ont pu identifier les voix et les authentifier, à la mi-avril. Le secret reste entier sur la nature des négociations et les raisons de leur échec. On a parlé de proposition d'échange, Layada contre les sept moines, de conflits interservices, opposant la Dgse à la DST, de divergences avec les autorités algériennes, de l'opposition de membres influents du gouvernement français à toute négociation avec cette organisation terroriste. Le mystère entoure toujours cette affaire, malgré les vaines tentatives d'y apporter quelques éclairages, à travers les multiples enquêtes journalistiques réalisées depuis la mort des moines. La mort des moines de Tibrihine connaîtra un nouveau rebondissement avec l'ouverture d'une information judiciaire à Paris en février dernier à la demande de certains proches des trappistes assassinés. Il est fort probable que des actions similaires seront entreprises de façon cyclique. Or, le témoignage de l'ex-émir de la Ligue islamique de la Daoua et le djihad, Sid Ali Benhdjar, apporte quelques éléments sur l'attitude de la nébuleuse armée, vis-à-vis de cette communauté de religieux vivant dans un univers fermé. Il y eu d'abord ce «deal» intervenu entre le GIA de Cherif Gousmi, par l'entreprise de Sayeh Attia, émir de la région de Médéa, et les occupants du monastère. Au terme de ce «deal», les trappistes s'engagent à renoncer à toute activité de prosélytisme. En contrepartie, le GIA avait fait la promesse de n'entreprendre aucune action à l'encontre des moines. Benhdjar appelle ce deal «aman». Il soutient qu'il fut respecté durant des années. Interviendra ensuite, le recours systématique aux menaces collectives et les actions de grand éclat, surtout après la désignation de Djamel Zitouni à la tête de l'émirat national du GIA. L'«aman» fut donc rompu à cause du pouvoir hégémonique du nouveau chef du GIA, lequel voulait tout contrôler et diriger, suivant sa «philosophie» et ses propres intérêts. La guerre intestine entre les différentes composantes de la nébuleuse armée - pas uniquement dans la zone de Médéa - va être fatale, non seulement pour les moines trappistes, mais aussi pour douze civils d'une entreprise yougoslave Hydroelektra, qui ont été enlevés puis égorgés à proximité de leur base-vie à Tamesguida-ville. Les «frères de la montagne», comme aimaient à les désigner les locataires de Notre-Dame-de-l'Atlas, n'ont eu aucune pitié pour leurs otages. Sept têtes emballées dans des sacs seront retrouvées non loin de l'ancienne route menant vers Tamesguida. Les corps des moines sont, dit-on, enterrés quelque part dans les vastes maquis de l'Atlas blidéen. Fidèles, amis et proches, ne feront leur deuil que le jour où les corps seront localisés et enterrés selon la tradition. Le commanditaire de cet acte connaîtra lui aussi, une fin tragique, deux mois à peine après l'exécution des moines, par son rival, Benhdjar, qui est entré en dissidence avec lui pour avoir refusé d'adhérer à cette politique de guerre sans trêve contre les Algériens et leurs hôtes.