Y aurait-il eu autant de marcheurs à Bruxelles s'il était déjà connu que les agresseurs du jeune Belge assassiné pour un MP3 étaient des Polonais ? Ce n'est pas sûr quand on voit la manière dont l'affaire a perdu de son intérêt médiatique dès que la nationalité des deux adolescents fut connue. Deux jours auparavant, un marcheur interviewé dans la foule par la télévision sur la question de savoir s'il était convaincu que ce crime est l'œuvre de Maghrébins répondait avec une étonnante assurance et une cynique ironie : “Non, ils étaient blonds et avaient des yeux bleus.” Les images des deux agresseurs prises par les caméras de surveillance de la Gare centrale de Bruxelles passaient en boucle sur toutes les chaînes de Belgique et des pays voisins, avec souvent un commentaire qui orientait clairement les soupçons. La question était déjà de savoir s'il fallait généraliser l'anathème parce que deux membres de la communauté se sont livrés à un crime imbécile. À entendre “l'échantillon” interrogé, il n'y a pas de raison de se gêner. Il ignorait, le pauvre, qu'on pouvait avoir la tignasse brune et les yeux foncés et être polonais, c'est-à-dire d'un pays européen, de l'Est, et qui n'a pas vocation d'avoir subi l'envahissement maghrébin. Et puis le Polonais, on le redoutait comme simple plombier, non comme potentiel agresseur. En réplique à l'accusation assurée de ce monsieur, on passait la déclaration gênée d'une fille en hidjab de rigueur qui, d'un ton coupable, espérait qu'on ne chargerait pas toute une communauté des actes de quelques individus. Depuis que les deux voyous ont été identifiés, les commentaires ont cessé. Maintenant qu'on est entre Européens, il n'y a plus de leçon à tirer de ce drame. La famille du défunt mérite pourtant plus que jamais soutien et sympathie. Il est probable qu'elle n'aura même pas droit à un procès des assassins de son fils, puisqu'il y a des chances que l'adolescent qui lui a porté les coups mortels ne sera pas extradé, les jeunes de moins de seize ans n'étant pas “extradables”. Mais tant pis, puisqu'il ne s'agit pas de voyous d'origine maghrébine ; ce qui devait être un fait de société est tombé au rang de fait divers. Pourtant, les parents de la victime, remarquables de dignité et de tenue malgré la douleur, avaient mis en garde contre le danger d'amalgame. Et pour éviter toute récupération politicienne de leur malheur, ils avaient appelé les marcheurs à se départir de tout signe partisan et de tout slogan. La sympathie qu'ils suscitent est aujourd'hui démultipliée par le souvenir de la prudente et noble attitude qu'ils avaient adoptée dans la peine et avant les résultats de l'enquête. Au lieu de garder en tête ce début de lynchage médiatique, c'est peut-être cette image, leur image, qu'il faut retenir de la société belge. M. H.