Diplomate de carrière et ancien ministre de la Communication et de la Culture, M. Abdelaziz Rahabi pense que le poids du politique dans la lutte anticorruption est au moins égal à celui qu'il a dans la corruption elle-même. Liberté : Les dossiers de corruption sortis massivement et de manière simultanée ont une connotation politique. Comment les juges peuvent-ils faire fi de ce cachet politique ? Abdelaziz Rahabi : La démarche suscite quelques interrogations et de sérieuses craintes car elle crédite l'idée que tout se fait à la commande. Si l'on prend justement le cas des scandales politico-financiers dans le secteur des hydrocarbures, le bon sens appelle au moins une interrogation : ou bien personne ne savait ce qui s'y passait et cela est grave ou alors on a couvert tout ça pendant dix ans et cela est encore plus grave. Dans les deux cas, il y a des responsabilités organiques et politiques qu'il faut situer et faire assumer. Le juge algérien, pour sa part, est habitué depuis 1962 à gérer ce type de situations et il est irréaliste de dissocier le magistrat de son environnement. Alors il rend la justice dans la mesure du possible. Quel est le poids justement du politique dans la lutte contre la corruption ? Au moins égal à celui qu'il a dans la corruption elle-même. En l'absence d'institutions réduites à leur plus simple expression, c'est le politique qui concentre tous les pouvoirs en Algérie. Alors il peut tout autant garantir cette impunité qui nourrit la corruption que favoriser la construction de l'Etat de droit. Tout devient une question de volonté politique. Pourquoi voulez-vous que le président de la République mette la société sous l'autorité du droit ? Dans ce cas, il devra répondre de chaque manquement à la loi et se soumettre au contrôle sur chaque dinar public dépensé par l'Etat. La situation actuelle ne peut évoluer que si les outils du contre-pouvoir institutionnel sont mis en place pour encourager l'indépendance du juge, contrôler l'action de l'Exécutif, libérer la presse et reconnaître la place de la société civile. En somme les conditions de la bonne gouvernance pour lever l'hostilité aux règles de la transparence des politiques, des institutions et des secteurs public et privé économiques. Le fait de mettre ce genre d'affaires entre les mains de la justice, est-il susceptible de crédibiliser cette lutte contre la corruption dont le gouvernement fait son credo ? Et pourquoi la justice devrait-elle attendre qu'on lui mette tout entre les mains ou se contenter de ne réagir que sur injonction ? Même s'il est vrai que la Cour suprême, le Conseil d'Etat et les tribunaux ont bien été actionnés ces derniers temps par la chancellerie et d'autres centres de pouvoir dans des affaires politiques, le magistrat doit avoir le courage d'obéir au droit et à sa conscience. À la veille de son départ du gouvernement, M. Khelil se glorifiait, qui plus est devant l'APN, d'avoir placé des milliards de dollars aux USA dans un fonds de son propre choix et en actions dans des entreprises qui ont des intérêts en Algérie. C'est une première dans l'histoire des Etats qu'une entreprise publique agisse de la sorte. La loi sur la monnaie et le crédit lui interdit de le faire et de ce fait il devient normalement justiciable. Paradoxalement son curieux aveu n'a suscité ni la réaction des députés élus pour contrôler l'action du gouvernement, ni celle du juge qui doit veiller au respect de la loi, ni enfin celle de la Banque centrale en charge de nos avoirs à l'étranger. Ces attitudes, outre qu'elles donnent sur le plan international l'image d'un non-Etat, fragilisent la crédibilité et la légitimité de ces institutions au sein de la société algérienne.