Wissem est ce jeune Tunisien qui a, dernièrement, fait le trajet Tunis-Alger en bus pour voir des films, acheter des livres, découvrir Alger et… nous rencontrer. Wissem est un jeune prof de lettres absolument cinéphile, fin connaisseur et intelligent. Il est fier de raconter comment, malgré toutes les difficultés, il a pu créer un ciné-club dans le lycée où il enseigne, à une centaine de kilomètres de Tunis. C'est un vrai ciné-club qui fonctionne aujourd'hui, alimenté en vrais films-cinéma et non en vidéo. Wissem évoque avec passion son nouveau projet : un livre sur le cinéma algérien, parce qu'il aime nos films. Il réussira, c'est certain, car il est fougueux et déterminé. C'est en lisant un article nous concernant, un peu trop élogieux à notre goût, signé Tahar Chikhaoui dans la revue Cinécrits de novembre 1994, qu'il a décidé de nous rencontrer. Et, ainsi, nous avons passé ensemble une longue après-midi au bord de la mer. “Comment, en parcourant ne serait-ce qu'une partie de ce texte, quitter Alger sans vous rencontrer ?” nous a-t-il dit, les yeux illuminés, au début de notre conversation, et il s'est mis à nous lire ce passage de l'article : “Parce que le cinéma pour Boudjema n'est pas un objet de discours ni la cinémathèque une fonction ; le cinéma c'est (en) lui, ça parle en lui. Et sa douleur est d'autant plus grande qu'en Algérie le problème du cinéma n'est pas qu'il stagne ou régresse, il est menacé de disparition. Son désir est ailleurs, dans un appel à la résistance.” Nous avouons que notre fierté était grande en l'écoutant et, tandis qu'il parlait, deux faits, datant des années 1970, nous sont revenus en mémoire. À Tunis d'abord, lorsque Tahar Guiga, cet immense homme de culture, nous avait raconté avec force détails ses souvenirs d'étudiant, et tout particulièrement ses voyages à Alger en train direct, une vraie ballade, pour passer ses examens, car à l'époque, avant l'Indépendance, l'université de Tunis dépendait de celle d'Alger, et Guiga ne quittait jamais notre ville sans avoir acheté un “shangaï”. À Alger ensuite, lorsqu'un jeune garçon, âgé d'à peine douze ans, s'était vu refuser l'entrée de la salle de la cinémathèque par la caissière, Khadra, pour la séance de… 22 h. Après notre intervention pour justifier la décision de la préposée, il ne dit rien, se dirigea vers la sortie, remonta les escaliers et, arrivé en haut des marches, il se retourna lentement, le regard noir et rageur comme celui de Brahim Hadjadj (Ali la Pointe) dans la Bataille d'Alger, et nous jeta la pièce de dix dinars, car tel était le prix de la place à l'époque. Wissam est retourné à Tunis comme il est venu. Il a repris ses cours et son ciné-club et il attend avec impatience les vacances d'été pour continuer son travail à Alger pendant deux mois, avec le grand espoir de décrocher un job, même bénévole, à la cinémathèque. B. K. [email protected]