Les déclarations contradictoires concernant la hausse des salaires se sont multipliées ces derniers mois. Pour certains partis et organisations patronales à l'image du FLN, du MSP ou du FCE, cette augmentation est indispensable. Ce à quoi le Chef du gouvernement oppose la rigueur économique. De leur côté, les syndicats réclament un meilleur partage de l'embellie financière que connaît le pays. Qui dit vrai ? Qui dit faux ? Et surtout qui l'emportera, Ahmed Ouyahia, Abdelaziz Belkhadem, Abou Djerra Soltani, Abdelmadjid Sidi-Saïd, les syndicats autonomes ou le patronat ? La guerre des salaires bat, aujourd'hui, son plein. Les salariés du pays réclament l'amélioration de leur pouvoir d'achat. Ces contingents de travailleurs sont autant d'électeurs que courtisent les concurrents du Rassemblement national démocratique (RND) dans la perspective des prochaines échéances électorales, la plus proche étant le scrutin législatif de 2007. Certains, notamment les partenaires du RND au sein de l'alliance présidentielle, ont la secrète ambition de précipiter leur consécration en poussant au départ le chef de l'Exécutif, à travers l'exacerbation du mécontentement social. Ouyahia fera-t-il concession de quelques milliards de dinars aux salariés pour garder son poste et gagner en popularité ? “La structure de la croissance est trop dépendante des hydrocarbures et de l'investissement public. Si la masse salariale n'est pas maîtrisée, tous les efforts consentis pour conforter nos équilibres financiers auront été vains”, oppose-t-il, très didactique, dans une conférence de presse, tenue il y a quelques semaines. Ses propos sont têtus. Ni l'objection de ses frères ennemis de la coalition, en l'occurrence les patrons du Front de libération nationale (FLN) et du Mouvement de la société pour la paix (MSP), qui revendiquent les augmentations en pensant aux échéances électorales de 2007, ni l'appui très mitigé du président de la République ne lui feront renoncer à sa conviction : sans croissance effective (dans les secteurs hors hydrocarbures), il n'y aura pas de hausse des salaires. Dans sa première intervention sur la question, Abdelaziz Bouteflika semblait avoir tranché en observant, à son tour, que le relèvement des revenus, sans amélioration de la productivité, menacerait la stabilité macroéconomique. “Gardons-nous, en cette période d'aisance financière toute relative, de céder, une nouvelle fois, aux sirènes de la démagogie, du laxisme et de l'affairisme débridé, alors que la conjoncture actuelle du marché des hydrocarbures risque de se renverser à tout moment”, avait-il averti le 24 février dernier. Quelques jours plus tard, comme pour s'excuser de son manque de tact, alors qu'il était l'hôte des travailleurs à l'occasion de la célébration du 50e anniversaire de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le chef de l'Etat suscite quelques espoirs en annonçant que la problématique des salaires serait examinée lors de la tripartite. Le secrétaire général de l'UGTA déborde d'optimisme. D'après lui, les augmentations toucheront même les travailleurs du secteur économique public et privé. “Mais cela dépendra de la productivité de chaque entreprise”, tempère, néanmoins, Sidi-Saïd. Dans la Fonction publique, la révision salariale, selon Ouyahia, sera tributaire de la révision de la loi et de la mise en place de statuts particuliers pour chaque corporation. Mais quand ? Le projet devrait être soumis à l'approbation des parlementaires justement en automne. C'est du moins ce que promet le patron de l'UGTA, qui, harcelé par les masses, s'emploie à les rassurer. Il y va de son image et surtout de sa place. Le 11e congrès de l'organisation devant se tenir en principe après la tripartite, sa reconduction dépendra des concessions qu'il aura arrachées au gouvernement. Au sein des fédérations, dans les unions de wilaya, la colère des militants gronde. Ce qui aiguise les convoitises des rivaux. Extra-muros, la perception de l'UGTA comme un pompier au secours des pouvoirs publics a jeté, dans les rangs des syndicats autonomes, des milliers de travailleurs désabusés. Des organisations comme le Cnes (enseignement supérieur), le Snapap (administration publique), le CLA et le Cnapest (éducation nationale), le syndicat des vétérinaires… gagnent en puissance. Régulièrement, elles font des démonstrations de force qui ébranlent les autorités. Elles comptent faire de ce mois de mai, un mois noir où les grèves se suivront. Leur objectif, contraindre le gouvernement à les reconnaître comme des partenaires sociaux et négocier avec elles, et non plus avec l'UGTA et à leur nom. Pour apaiser le front social et contenir la progression des organisations autonomes, l'UGTA se voit attribuer “des gages”. Même si les augmentations des salaires sont des broutilles. La dernière revalorisation intervenue à l'issue de la tripartite d'octobre 2003 était de la poudre aux yeux. Les 2 000 DA d'augmentation n'ayant profité qu'aux smicards. Pour contourner ce genre d'arnaques, des patrons privés, par la voix d'une seule organisation, le Forum des chefs d'entreprise (FCE) exigent que le relèvement des revenus soit accompagné par l'encouragement du pouvoir d'achat. En contrepartie, les entrepreneurs demandent l'allégement des charges fiscales. Sauf que le FCE n'est pas partie prenante de la tripartite. Les autres patrons, figurant dans cette assemblée, ont été invités par Ouyahia à renégocier les conventions de branche. Il y a quelques jours, il les rencontrait dans le cadre d'une bipartite. Cette réunion doit normalement augurer le second round qui sera élargi à l'UGTA. Qu'en sortira-il ? Par l'ambiguïté de son discours, Bouteflika laisse planer le suspense et donne à chacun des arguments montrant qu'il détient la vérité. Alors que lui seul décide, en gardant toutes les cartes en main. Samia Lokmane