Comme dans une partition, Madrid et Paris ont simultanément engagé une vaste offensive en Afrique pour persuader ses dirigeants du “bien-fondé” de leurs nouvelles politiques d'immigration qui, à quelques nuances près, se ressemblent, visant à rendre impossible l'entrée des Africains en Europe. L'agitation franco-espagnole intervient en prévision de deux conférences euroafricaines prévues cet été sur l'immigration. Madrid a essayé de convaincre Alger de revenir sur son refus de participer à la Conférence de Rabat (10 et 11 juillet) promue par l'Espagne, le Maroc et la France en réponse à la sanglante crise migratoire de l'automne 2005 dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla dans le nord du Maroc, prises d'assaut par des milliers de candidats africains à l'émigration. Des incidents meurtriers s'en étaient suivis, précédant la dispersion dans le désert de milliers d'Africains par le Maroc. Le Chef du gouvernement espagnol, Jose Luis Rodriguez Zapatero, a certainement abordé la question lors de sa rencontre, en début de week-end, à Séville, avec le président Bouteflika, qui avait assisté, en présence de plusieurs chefs d'Etat du pourtour de la Méditerranée, à l'anniversaire du 6e centenaire de la disparition d'Ibn Khaldoun. Alger participe en revanche à la Conférence ministérielle de l'UA sur les problèmes migratoires les 5 et 6 juin à Tripoli. L'Algérie estime, en effet, que la question de l'immigration ne peut pas être traitée en dehors du cadre de l'UA, l'organisation du continent pourvoyeur d'immigrés dont l'Europe veut voir le mouvement se tarir. Par ailleurs, aux yeux d'Alger, contrairement aux allégations de Madrid, les deux conférences sur le même thème et à des dates presque concomitantes, sont loin d'être complémentaires. Leur enjeu et leurs domaines seront différents : celle de Rabat, organisée sous les auspices de l'UE, examinera les solutions immédiates devant barrer “la route occidentale de l'immigration africaine vers l'Europe”. Tandis que la Conférence de l'UA posera le problème avec des solutions à long terme, durables et qui devront mettre un terme aux humiliations et drames vécus par les candidats au départ. En prévision de la Conférence de Rabat, Madrid a lancé une offensive diplomatique sans précédent en Afrique avec un “plan Afrique” formalisé par son gouvernement et comprenant un dispositif basé à Dakar et rayonnant sur six pays : Sénégal, Gambie, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Guinée et Niger. Il s'agit d'ici de limiter les départs vers l'Europe. Le secrétaire d'Etat espagnol aux Affaires étrangères fera la promotion de ce plan lors d'une tournée en Afrique occidentale du 29 mai au 2 juin. La surveillance maritime, aérienne et par satellite a, d'ores et déjà, été renforcée pour détecter les embarcations aux larges des côtes africaines. Dans le même temps, le ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, achevait son périple africain au Maroc où il devait rencontrer son homologue marocain, au terme d'un périple qui l'avait conduit au Mali et au Bénin. L'escale de Marrakech, qui n'était pas programmée, a permis au numéro deux du gouvernement français et président de l'UMP d'affiner avec son homologue les positions en prévision de la Conférence de Rabat. Cependant, Sarkozy a eu à mesurer, aussi bien au Mali qu'au Bénin, tout le fossé qui sépare les Africains de l'UE sur le dossier de l'immigration en général et de sa propre recette en particulier sous le générique raciste “d'immigration choisie”. Ses promesses de construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé et des obsolescences qui perdurent, de part et d'autre, de la Méditerranée, n'ont pas convaincu. À Bamako, comme à Cotonou, le candidat à la succession de Jacques Chirac aura été fraîchement accueilli par les responsables, mais bruyamment conspué par les jeunes qui n'ont pas manqué de lui rappeler qu'au même moment, les députés français votaient sa nouvelle loi sur l'immigration durcissant les conditions d'entrée et de séjour des Africains en France. D. Bouatta