Après une semaine chargée d'attaques frontales contre lui de la part de ses partenaires de l'alliance présidentielle, Ahmed Ouyahia quitte les commandes du gouvernement sans avoir pris la peine de répliquer à ses détracteurs. “Parce qu'il connaît le véritable commanditaire de la cabale montée contre lui”, affirment des cadres du RND, rencontrés hier à l'APN et au Conseil de la nation. Ils assurent que c'est le président de la République qui a incité le FLN et le MSP à faire tomber Ahmed Ouyahia. Il est utile de s'interroger sur les raisons qui ont poussé le premier magistrat du pays à donner l'impression d'agir sous la pression des deux partis politiques sus-cités au lieu de faire valoir simplement la prérogative constitutionnelle qui lui permet de limoger un Chef de gouvernement à tout moment. “Ce n'est pas le respect des convenances ou l'opinion nationale qui intéressent le président de la République, mais l'opinion exclusive du sérail. Il veut montrer que c'est lui le maître à bord.” Selon nos interlocuteurs, le portrait d'Ouyahia, paru le 30 avril dernier dans le magazine politique Jeune Afrique, n'a pas été du goût du président Bouteflika qui l'a jugé trop flatteur. “Depuis, le chef de l'Etat boude son Chef du gouvernement. Ils ne communiquaient plus que par l'intermédiaire de leurs secrétaires particuliers.” Cet épisode aurait été, en réalité, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase rempli de rapports tendus entre les deux hommes qui ne partageaient pas le même avis sur plusieurs dossiers, tels que les lignes rouges de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et les réformes économiques. Même si Ahmed Ouyahia n'a pas failli, publiquement, à son soutien au président Bouteflika, son limogeage était, nous dit-on, programmé depuis longtemps. Les contraintes du calendrier du Chef du gouvernement et l'hospitalisation du président Bouteflika ont, néanmoins, retardé l'échéance. “Quand Abdelaziz Belkhadem et Abou Djerra Soltani se sont attaqués frontalement à lui, Ahmed Ouyahia a compris. Il a présenté sa démission samedi dernier”, raconte un sénateur. Pour les proches du désormais ex-chef de l'Exécutif, ce dernier dérangeait le cercle présidentiel qui le considérait comme “l'empêcheur de tourner en rond”. Il est certes difficile de savoir ce qui s'est exactement passé en haut lieu, mais il n'en demeure pas moins que pour le commun des citoyens, Ahmed Ouyahia a acquis la réputation d'un homme aux grandes capacités intellectuelles, qui maîtrise les dossiers dont il a la charge et surtout d'une personnalité charismatique qui sait user de l'art de la rhétorique et de la répartie. L'on se rappelle de quelle manière il a tenu en haleine, pendant plus de sept heures, les parlementaires qui l'interpellaient, en 1997, sur la situation sécuritaire. Avec la même habilité, il a cloué au pilori les députés de la précédente législature, qui réclamaient de royales indemnités. D'ailleurs, ce sont ses capacités de capter l'intérêt par le discours que le Chef du gouvernement démissionnaire a été empêché de présenter sa déclaration de politique générale à l'APN. Il aurait demandé l'autorisation au président Bouteflika pour la présentation du bilan de son équipe. Abdelaziz Bouteflika a donné son aval. Ce dernier est, par la suite, revenu sur sa décision sur avis de ses conseillers. On lui aurait, en effet, recommandé de ne pas offrir une tribune à Ouyahia, du moment qu'il souhaitait l'évincer. “Même si les députés s'acharnaient contre lui à l'APN, Ahmed Ouyahia aurait eu le dernier mot au Sénat”, expliquent des parlementaires RND. Bien qu'ils regrettent amèrement que leur chef soit éjecté de son poste sous de “faux arguments”, les cadres du RND sont persuadés qu'il “reviendra au pouvoir par la grande porte”. Il est vrai qu'Ahmed Ouyahia, bientôt âgé de 54 ans (il est né le 2 juillet 1952), est, en quelque sorte, un phénix qui sait renaître de ses cendres. Contrairement aux autres personnalités politiques qui gravitent, à des conjonctures distinctes, autour des cercles de décision, il n'a pas connu, depuis sa première nomination à la tête du gouvernement en décembre 1995, de traversée du désert. Diplômé de l'ENA et titulaire d'une licence en sciences économiques, cadre du ministère des Affaires étrangères (1979-1981 et de 1988 à 1992), puis à l'ambassade d'Algérie à Abidjan (1981-1984) avant d'être affecté à la mission permanente de l'Algérie auprès des Nations unies à New York, ambassadeur d'Algérie au Mali en 1992, directeur de cabinet du président Zeroual, deux fois Chef du gouvernement (31 décembre1995-31 décembre1998 puis du 6 mai 2003 au 24 mai 2006), plusieurs fois ministre d'Etat… il n'a jamais tout à fait quitté le giron du pouvoir. Il incarne le parfait commis de l'Etat, possédant l'aptitude à mener à bien les sales besognes. Un mois à peine après son installation à la tête de l'Exécutif, en décembre 1995, il annonçait des ponctions sur les salaires des travailleurs des secteurs publics. Sa première décision impopulaire. Beaucoup d'autres suivront. Tour à tour contesté, invectivé, admiré… Ahmed Ouyahia ne suscite pas l'indifférence. Souhila H.