“Le mouvement citoyen va rendre publique une déclaration pour mettre les choses au clair.” Il était difficile, hier, de se frayer un chemin à l'entrée de Mekla. Et pour cause, un dispositif antiémeutes, dont un fourgon de CNS et un chasse-neige, ainsi que d'autres véhicules étaient postés devant la sûreté de daïra de Mekla. Vendredi, après le décès du policier poignardé la veille, leur présence était encore plus visible, avec celle des BMPJ qui patrouillaient à pied, kalachnikov en bandoulière. Nous nous sommes présentés à ce commissariat dans l'espoir d'avoir leur version des faits, mais celui qui semblait être le commandant des CNS nous répond sèchement qu'il n'y avait personne. Devant notre incrédulité, il rajoute : “Ils sont tous partis à l'enterrement.” Un petit tour en ville nous a suffi pour déduire que la plupart des citoyens ne connaissent pas les faits réels, que beaucoup de versions, liées beaucoup plus à des spéculations, étaient colportées. Nous avons alors préféré nous rendre à la source, là où les évènements se sont produits. Ce n'est qu'à ce moment que nous avons pu avoir une version qui semble être la plus probante, car émanant de témoins oculaires et même d'acteurs. Tout a commencé jeudi, vers 15h. Trois policiers en civil se rendent au quartier Rabia-Boussad, plus connu sous le nom du Quartier Est. Situé à quelques dizaines de mètres du siège de la sûreté de daïra de Mekla, ce quartier est connu pour avoir été un foyer chaud lors des évènements du Printemps noir, endroit aussi où résidait la seule victime de la localité de Mekla, assassinée par les gendarmes en avril 2001. Ces trois policiers étaient venus remettre une convocation à un jeune homme du quartier, dans le cadre d'une enquête, selon des sources policières. Arrivés au quartier, ils trouvent des jeunes à qui ils demandent l'adresse de celui pour qui ils étaient venus. “Nous ne savons pas où il habite”, avaient-ils répondu. Les policiers poursuivent leurs investigations et trouvent finalement le domicile en question. Au retour, ils retrouvent les jeunes qu'ils avaient sollicités au départ. L'un des policiers aurait proféré des obscénités à leur égard, chose que les jeunes n'ont pu tolérer, nous ont affirmé les nombreux témoins du quartier ayant assisté à la scène. Le jeune Hamenad Abdenour, parent du martyr du Printemps noir de Mekla, révolté, remet en place le policier. Ce dernier se serait alors jeté sur lui et a voulu l'arrêter à tout prix. Dans la bousculade, le policier perd ses lunettes. D'autres résidents du quartier interviennent alors pour calmer les esprits, demandant aux policiers de partir avant que la situation ne dégénère, vu que la foule grossissait, en promettant que le jeune Hamenad se rendrait au commissariat. Chose promise chose due. Des parents de l'“interpellé”, en compagnie de résidents du quartier, se déplacent au commissariat pour tenter de clore définitivement l'incident. Pendant qu'une délégation était à l'intérieur, au bureau du commissaire, une foule de badauds commençait à se constituer devant le portail car, il faut le signaler, le siège de la sûreté de la daïra de Mekla est bien exposé : à l'entrée de la ville et à proximité d'une station de fourgons, de cafétérias, etc. Le commissaire, en compagnie d'autres policiers en civil, sort alors, affolé par le nombre de personnes qui affluaient. Ils essayent de les convaincre de partir, en leur expliquant qu'il ne s'agissait que d'une banale affaire et que tout allait rentrer dans l'ordre. Les CNS ne tardent pas à arriver et à tirer à bout portant et dans tous les sens, selon des témoignages concordants. Quatre blessés ont été recensés, dont un évacué à Alger. “Nous avons entendu des policiers qui incitaient à tirer”, nous déclarent des personnes qui étaient présentes au moment des faits et qui affirment avoir vu l'un des policiers pointer son PA. Elles martèlent, indignées : “Les CNS sont sortis du commissariat sans sommation, tirant à bout portant.” De nombreux témoins, que nous avons pu rencontrer, ne comprennent absolument rien quant à la tournure qu'ont prise les évènements. A l'arrivée des CNS qui tiraient à tout bout de champ, la foule s'est instantanément dispersée, sans qu'il y ait de riposte. Un jeune policier s'affaisse, poignardé. Par qui ? Personne ne le sait. “Nous avons cru que c'était un citoyen qui avait été touché. Nous avons voulu nous proposer pour le transporter à la clinique, mais c'était impossible de s'approcher du commissariat”, témoignent nos interlocuteurs, qui affirment, unanimement, que le policier était resté allongé pendant près d'une heure, se débattant par terre, perdant beaucoup de sang, alors que deux cliniques étaient toutes proches. Jusqu'à hier, beaucoup de personnes ayant assisté au drame ont été offusquées, voire choquées par une telle scène, ne comprenant même pas comment cela était-il arrivé. Nos interlocuteurs estiment que, depuis le départ, beaucoup de zones d'ombre entourent cette affaire. “Les évènements se sont accélérés. En quelques secondes, tout s'est terminé sans qu'on comprenne ce qui est arrivé”, nous a-t-on révélé. Le lendemain matin, vendredi, à 7h, le policier succombe à ses blessures. Dans la même journée, Mekla est quadrillée par la police. Les éléments de la BMPJ et les CNS dépêchés de la ville de Tizi Ouzou, jeudi soir, assiègent la ville. De nombreux jeunes, connus pour être des émeutiers, sont arrêtés ce jour-là ainsi que le lendemain matin. Une vingtaine environ. Le père de l'un d'eux accourt en notre direction exhibant un “bon de livraison”. “Mon fils n'était même pas là jeudi, il était parti en mission et voici la preuve. Pourquoi ils l'ont arrêté alors ?”, s'interroge-t-il anxieux. Jusqu'à hier soir, seuls deux jeunes ont été libérés, les autres sont maintenus en garde à vue. L'histoire ne s'arrête pas là. Les résidents du Quartier Est que nous avons rencontrés nous ont informé que la police faisait régulièrement des patrouilles durant ces deux derniers jours, pour perquisitionner d'une part et intimider d'autre part. Ils ont affirmé aussi que les policiers leur ont annoncé l'arrivée imminente de citoyens de Beni Douala, dans des fourgons et camions et armés jusqu'aux dents, “dans le but de vous exterminer !”, nous diront-ils. Les rumeurs les plus folles ont couru Mekla. Car, le policier tué est originaire de Beni Douala. Il n'en était rien finalement. Contacté par nos soins, Nordine Medrouk, délégué de cette localité, nous a formellement nié une quelconque réaction dans sa région. “Le pouvoir veut pousser au pourrissement ”, a-t-il réagi à ce propos en nous annonçant que le mouvement citoyen allait rendre publique une déclaration pour mettre les choses au clair. Quelle suite est réservée à cette affaire ? Personne ne peut la prévoir. K. S.