Tizi Ouzou et quelques localités de la wilaya ont vécu un jeudi noir. Tizi Ouzou-Ville a connu jeudi, une journée très particulière. La marche, à laquelle la Cadc de wilaya a appelé, a été brutalement empêchée par les CNS. La ville était totalement quadrillée. Des barrages filtrants étaient installés aux principaux accès. Pont de Bougie, Oued Aïssi, l'habitat pour l'accès-Est. Caserne des CNS et cimenterie Amirouche, pour l'accès-Ouest. Le lieu du rassemblement : Carrefour du 20-Avril était également sous très haute surveillance. Dans la ville, transformée pour la circonstance en «zone policière», de nombreux détachements de CNS étaient remarqués. Vers 10h 30, les choses «sérieuses» commencent. Parvenus jusqu'au carrefour du 20-Avril par des chemins détournés pour les uns et en forçant les barrages du Pont de Bougie et de la pompe Chabane, pour les autres, notamment ceux venus de Ouaguenoune, quelques centaines de manifestants essaient une marche. Arrivés à hauteur de l'hôpital (CHU Nedir), les policiers font pleuvoir sur eux des grenades lacrymogènes. Les manifestants fuient le nuage de gaz. C'est alors qu'un jeune essaie de se réfugier au CHU, poursuivi, on lui tire, pratiquement à bout portant, une grenade lacrymogène. Admis immédiatement aux urgences, il était toujours - jusqu'à hier vendredi - plongé, dans un profond coma. Un peu plus haut, au niveau du centre payeur de la Cnasat, rue Lamali, un groupe de 4 manifestants est pris en chasse par le «chasse-neige» des CNS. Percuté, le jeune homme est également transféré au CHU où son état est jugé sérieux. Les CNS s'énervent un peu plus et leur réaction se fait plus violente. De véritables corps à corps, entre policiers et émeutiers, ont été observés, aussi bien au carrefour du 20-Avril qu'au niveau du quartier M'douha et aux accès Est de la ville. Dans Tizi Ouzou, la rue est livrée aux seuls policiers et émeutiers. Le nuage de gaz lacrymogène se mêle à celui des fumées des pneus brûlés. Les pierres et autres projectiles fusent de partout. Les CNS se font violents. Face à la Cadc, la stèle érigée à la mémoire des victimes du Printemps noir est prise pour cible. Les CNS la recouvrent de peinture blanche et y apposent des graffiti à la peinture rouge. Une manière de provoquer davantage des jeunes. «Pour mieux essayer de nous mater», dira un jeune de la cité Cnep. Les images de désolation et de brutalité sont légion. Plusieurs manifestants sont interpellés, ils seront relâchés en fin de soirée, après avoir été copieusement passés à tabac. Des scènes atroces soulèvent la répulsion des citoyens qui pensent que «finalement, gendarmes et CNS, ont la même logique. Pour eux, aujourd'hui, ils ne font pas de quartier!» Les jeunes répliquent aussi durement. Bravant les gaz lacrymogènes, certains sont même arrivés à désarmer des CNS (boucliers, casques et matraques). L'angoisse et la colère mêlées se transforment en de puissantes vagues d'un courroux, annonciateur d'une furie populaire. A travers la ville, dans presque chaque quartier, comme à la cité Le Cadi, au quartier le Grand-Mondial, aux 240 Logements, la Cnep, les Genêts, Bouaziz, M'douha, etc de violents affrontements ont été remarqués. Des blessés affluent vers le CHU, certains seront gardés en observation, d'autres reçoivent les premiers soins. La tension est montée de plusieurs crans. La ville a peur et fait peur. A l'intérieur de la wilaya, ce sont les villes et villages de Mechtras, de Fréha, de Larbaâ Nath-Iraten, de Tazerout (Aïn El-Hammam), Irdjen, Ouadhias, Tadmaït, Yakouren, Bouzeguène qui se sont enflammés. Certains endroits, tôt le matin, d'autres après les nouvelles parvenues de Tizi Ouzou. Il faut dire que l'appel à la grève et à la marche a reçu un profond écho en Kabylie. Dès le matin, des véhicules de tous genres ont essayé de rallier Tizi Ouzou. Ainsi, à Mechtras, dans la daïra de Boghni, les émeutes qui duraient depuis près de trois jours ont continué jusqu'à jeudi soir. Un manifestant a même été grièvement blessé à coups de hache dans le dos, par un gendarme. Mardi soir à Fréha, un manifestant a été lynché à mort par les gendarmes. Il devait rendre l'âme mercredi, au CHU de Tizi Ouzou où il a été transféré. Alors qu'à Abi-Youcef, c'est un jeune lycéen de 19 ans, Mohamed U-L'hocine Lamara qui a été, selon une version, «touché» à la tête par balle et est mort sur le coup. La colère est dans la rue, elle est là, incontournable. Au moment où la Kabylie pensait être arrivée au bout du tunnel, la voici, encore une fois, une fois de plus, une fois de trop, plongée dans l'incertitude. Perplexes devant cette instabilité, les citoyens pensent au pire et croisent les doigts. Hier, encore, alors qu'un calme apparent régnait partout, on signalait des échauffourées près de la brigade de gendarmerie de Draâ Ben Khedda. Un jeune aurait été blessé par balle en caoutchouc.