La visite d'Etat du président Chirac en Algérie est chargée d'une symbolique qui puise sa substance dans le caractère tout à fait particulier des relations entre les deux pays. La visite d'Etat qu'effectue à partir d'aujourd'hui le président français, Jacques Chirac, en Algérie est assurément un grand événement. Et pour la France et pour l'Algérie. On notera, en effet, qu'il s'agit d'abord d'une première du genre depuis l'indépendance de l'Algérie, puisque les visites successives de Valéry Giscard d'Estaing et de François Mitterrand n'étaient pas des visites d'Etat. C'est dire toute la symbolique du crochet chiraquien dans l'ancienne colonie de la France. Il a fallu plus de 40 ans pour que ce pays se résolve enfin à accepter que le destin de l'Algérie devait être remis entre les mains de ses enfants et que le mythe de l'Algérie française n'était qu'un mythe. Et c'est tant mieux que les nouveaux dirigeants de ce pays aient compris qu'il faut enterrer la hache de guerre, enfouir les rancœurs et les rancunes et lever les malentendus historiques qui ont jalonné l'évolution des relations entre les deux pays sur deux lignes droites qui ont eu bien du mal à se rencontrer. Par trop de contentieux cumulés et de passions partagées. L'Algérie et la France ont décidé de se tourner ensemble vers l'avenir au lieu de s'accrocher, avec obstination, à scruter un passé gorgé de blessures et porteur de vieux démons. C'est là toute la charge symbolique et toute l'importance de cette visite de Chirac qui, quoi qu'on en dise, est de nature à sceller durablement les retrouvailles entre deux peuples quasiment condamnés à vivre ensemble. Il était temps. L'arrivée du patron de l'Elysée en Algérie est un signe fort en direction d'Alger. Elle est le fruit d'un immense travail diplomatique mené depuis quelques années déjà, et qui a connu sa vitesse de croisière depuis la visite d'Etat effectuée par le président Bouteflika à Paris en avril 2000. Ce fut là le déclic pour un vœu : la refondation des relations entre la France et l'Algérie. S'ensuivirent les ballets ministériels et les chassés-croisés des hommes d'affaires et de la culture qui ont pris en charge cette idylle naissante entre Paris et Alger. Un idéal dont Bouteflika a fait presque une affaire personnelle, lui qui a compris que sans le soutien de la France, la voix de l'Algérie risque de se perdre dans les travées des salons feutrés des capitales occidentales. Et Paris semble avoir reçu son message cinq sur cinq, ainsi que le démontre, notamment, l'organisation de l'Année de l'Algérie en France qui, faut-il le souligner, est loin d'être un banal programme de manifestations folkloriques. La France veut, de toute évidence, aider l'Algérie. L'intention n'a sans doute jamais été aussi clairement affichée. Quand MM. Chirac et de Villepin parlent de la “nécessité de tourner la page du passé et d'ouvrir une autre plus prometteuse”, cela dénote que quelque chose a véritablement changé chez nos amis français. Dans le bon sens, bien sûr. De la même façon que la France a compris qu'elle ne peut tourner éternellement le dos à l'Algérie, notre pays est convaincu qu'il ne peut se passer de la France. C'est aussi cela le sens à donner à cette visite, au-delà des dividendes proprement matériels qui pourraient en être tirés. La délivrance de visas ou la revalorisation des pensions des anciens combattants de l'armée française ne pourraient être, le cas échéant, qu'une cerise sur le gâteau. On pourrait spéculer à l'envi sur la volonté, réelle ou supposée, de Bouteflika de capitaliser la venue de cet hôte de luxe pour l'élection présidentielle de 2004, le déplacement de Jacques Chirac en Algérie dans un contexte mondial marqué par ce terrible bras de fer entre Paris et Washington au sujet de la guerre contre l'Irak, semble beaucoup plus significatif qu'un simple figurant d'une histoire électorale algéro-algérienne. La portée de la visite d'Etat du président de la France en Algérie est à la mesure du sacrifice consenti par le peuple algérien durant la colonisation. C'est quelque part un devoir de mémoire… H. M.