Patrick Poivre d'Arvor, le présentateur vedette de TF1, présent à Alger pour l'enregistrement d'un Vol de nuit spécial littérature algérienne (qui sera diffusé demain soir), avait émis le souhait de rencontrer des journalistes algériens. Une occasion de découvrir l'homme modeste, drôle et généreux qui se cache derrière l'icône du PAF. Vêtu d'un costume bleu, la chemise ouverte, un large sourire dessiné sur son visage, c'est lui. La mythique icône des inénarrables Guignols en chair et en…soleil. L'espace ? Une jolie salle de la villa Pouillon, à un jet de pierre du Maqam. Sur une table, des gâteaux algérois, dominés par l'incontournable baqlawa. Collé de près par son frère, Olivier, président de l'association organisatrice de l'Année de l'Algérie en France (l'AFAA), PPDA se sent parfaitement chez lui. D'ailleurs, il est très décontracté et arbore une mine enjouée. D'entrée, il serre la main à tout le monde, d'une poignée confraternelle. Pour lui, ce ne sont pas des “jeunots” qu'il a en face mais des “pairs”. Il leur rendra, d'ailleurs, au fil de la discussion, un hommage bien appuyé : “Grâce à vos écrits, quelque chose fermente entre les deux rives”, dit-il. La veille, il avait animé, au Bastion 23, un houleux Vol de nuit où les femmes étaient à l'honneur. “Elles n'avaient pas la langue dans leur poche”, reconnaît-il. Parmi elles, Meïssa Bey et Ahlam Mosteghanemi. La rencontre est amicale. Légère. A bâtons rompus. PPDA se prête allègrement au jeu des questions-réponses avec ses “cousins” de l'autre rive. De toute évidence, l'événement du jour est au centre des débats : la visite de “tonton” Chirac. Pour lui, “cette visite est le point de départ de quelque chose d'inéluctable”. Plus tard, il nous fera cette déclaration, en aparté : “Je ne suis pas un homme politique. Je suis là comme journaliste, pour relater les faits. Ce qui m'intéresse, c'est de voir de près ce qui se passe. Je me dis que, quarante après l'Indépendance de l'Algérie, il puisse y avoir la première visite d'Etat d'un président français, ici, ça me touche, parce que je me dis que ces deux peuples se reparlent normalement. Il n'y a plus la gêne qu'il y avait du côté français, ou la susceptibilité qu'il y avait du côté algérien. Il y a aujourd'hui des dialogues qui me semblent plus francs qu'auparavant. Ce seul fait-là me touche beaucoup. Je souhaite qu'il y ait une meilleure connaissance des peuples et des cultures. Ca me paraît très important car je crois que c'est la culture qui amène la tolérance, et c'est la tolérance qui amène si ce n'est l'amour — n'en rajoutons pas —, en tout cas, nous évite la haine. Plus on connaît les choses, moins on les déteste.” En l'occurrence, Patrick Poivre d'Arvor se dit “très satisfait” des effets de l'Année de l'Algérie en France, événement pour lequel il remercie d'une manière appuyée, son frère Olivier, “le maître d'œuvre de cette année”, “puisque je n'ai pas pu le faire pendant l'émission”. En évoquant son frère, Patrick ne manque pas d'évoquer ses souvenirs algérois. “Hier, confie-t-il, nous avons été émus d'être devant l'immeuble qu'habitait notre père entre 1941 et 1943, au 3, rue du Dr Trollard.” Plus loin, il aura ces mots gorgés de nostalgie : “Chaque fois que je viens à Alger, j'y trouve une lumière, des senteurs”, on se disait, mon frère Olivier et moi : “C'est notre monde, c'est nos racines.” “On est chez nous, et là, je me sens très très proche de vous. Mes racines regorgent de vous !” La star du PAF (Paysage audiovisuel français) se dit, par ailleurs, “très impressionnée par l'évolution de la presse algérienne”. “Ca a dû être pour vous un combat très douloureux, vous l'avez payé de votre chair, cette liberté d'expression”. Interpellé au sujet de l'image véhiculée par les médias français à propos de l'Algérie, Patrick Poivre d'Arvor regrette que les clichés aient la peau dure. “Il est vrai que les médias français sont pour beaucoup prisonniers de leurs stéréotypes sur l'Algérie. Moi je leur dis : Bougez votre derrière ! Alger est à deux heures de vol. Il faut venir ici, sentir, voir.” Toutefois, il fera remarquer que “l'image de l'Algérie est positive chez les trois quarts des Français. C'est un regard qui a beaucoup changé”. Et d'ajouter : “Il est formidable que des peuples se rejoignent, après des moments difficiles. Cette histoire, si passionnée, est aujourd'hui décomplexée. Aujourd'hui, on peut discuter, parler, échanger. La culture est la meilleure façon pour un peuple de se libérer au sens fort du terme.” Et de conclure symboliquement : “Les paraboles qui pullulent sur les balcons d'Alger sont autant d'oreilles qui nous sont tendues.” Bien sûr, les confrères ne rateront pas l'occasion de lâcher la question qui brûle toutes les lèvres : son rapport avec son alter ego, cette corrosive et néanmoins attendrissante marionnette de la bande à Gacio, qui rogne chaque soir sur son propre indice d'audience, quand elle ne lui ravit pas carrément la vedette, à travers les inénarrables Guignols de l'info (Canal Plus). PPDA prend la chose avec humour et fair-play : “Voilà quelqu'un qui me fait de la concurrence depuis quinze ans !” dit-il d'entrée. Et d'avouer : “Dès le début, mes avocats m'avaient conseillé d'attaquer. Mais j'ai refusé. Je suis pour la liberté d'expression. Il est toujours difficile de demander de limiter la liberté quand on est journaliste soi-même. Du reste, je n'ai pas le temps de “me” regarder sur Canal puisque nous passons en même temps.” Ayant plus d'une corde à son arc, Patrick Poivre d'Arvor, nous l'oublions souvent, est aussi un romancier de talent qui a signé plus de vingt livres, et qui est lauréat du prix Interallié. Entre son planning de chef d'Etat, ses périples qui l'ont conduit aux quatre coins du monde (il a fait récemment l'Afghanistan, avec son défunt ami Patrick Bourrat), “où trouver le temps d'écrire ?” “J'écris la nuit. Je suis insomniaque”, révèle-t-il. Que pense-t-il de la littérature algérienne ? “Elle est foison-nante. Et je suis étonné par le nombre de femmes qui écrivent”. Il pressent volontiers Assia Djebbar pour décrocher le Prix Nobel de littérature. Enfin, à propos du spectre de la guerre qui plane sur le Golfe, il dira : “Hélas, il y a 70% de chances pour que la situation bascule du mauvais côté.” Se prononçant comme journaliste, l'homme refuse farouchement toute ingérence : “Mon souci majeur, c'est d'être affranchi au maximum de toute source, Pentagone, autorités françaises, Al Jazira, CNN… On essayera d'avoir notre propre jugement, par nous-mêmes, d'avoir un jugement indépendant. On m'a toujours présenté la presse américaine comme un exemple de liberté de pensée, d'expression, de professionnalisme. Aujourd'hui, je trouve qu'elle est trop endoctrinée. Elle est en train de préparer l'opinion américaine à la guerre. Je suis bien triste pour notre métier.” M. B.