250 manifestations se sont produites en deux mois, drainant un million de visiteurs ; 500 livres ont été édités ; 1 200 pages de “revue de presse” consacrées à l'Algérie, 120 minutes de prime time ; bref : pour OPDA, le pari est d'ores et déjà gagné, c'est-à-dire, “faire parler de l'Algérie autrement que par les massacres”. Olivier Poivre d'Arvor, frère du célèbre présentateur du 20h de TF1, dirige une association qui s'est donnée pour vocation d'organiser, comme elle le fait depuis quelques années, des “saisons culturelles” en l'honneur de tel ou tel pays, en étroite collaboration avec le Quai d'Orsay, autrement dit, le ministère français des Affaires étrangères. Il s'agit de l'AFAA : l'Association française d'action artistique. C'est ainsi, convient-il de rappeler, que, suite à la visite de Bouteflika à Paris, le 17 juin 2001, il avait été décidé, entre autres, de la tenue d'une année algérienne en France. L'AFAA est, de suite, désignée comme “maître d'œuvre”. Depuis le coup d'envoi donné à cette Année de l'Algérie en France, beaucoup de choses ont été dites et écrites, beaucoup de réserves ont été émises, et un certain malaise s'était installé sur les deux rives, par rapport à cet événement. Bientôt, les passions vont s'exacerber, s'affronter. Des pétitions vont circuler. Des artistes récalcitrants crient au “complot” politico-diplomatico-médiatique. On parle d'une “vulgaire manœuvre” visant à astiquer l'image d'un régime honni, corrompu et impopulaire, éclaboussé par les affaires, et dont l'enlisement dans le bourbier kabyle a fini de le rendre irrémédiablement insolvable vis-à-vis de l'étranger. La campagne est vite taxée de “barbouzade”, sous le haut patronage de la DST et du DRS (comme par un curieux jumelage entre les services des deux pays), pour consolider les rapports entre Paris et Alger, et parachever le dégel des relations algéro-françaises. El-Mouradia multiplie signaux et clins d'oeils envers l'Elysée. Chirac montre une disponibilité sans faille à l'endroit de son homologue de l'autre rive. Les deux hommes semblent avoir simultanément besoin de jouer les prolongations : l'explosif dossier France-Algérie (ou Algérie-France, selon la hiérarchie des orgueils et l'ordre des susceptibilités) sera, mine de rien, une aubaine pour l'un comme pour l'autre, pour sauver leurs cotes respectives, lourdement éprouvées au niveau domestique. Bref, une rageuse polémique éclate donc de part et d'autre de la Méditerranée, entre partants et “boycottants”. A chacun ses excuses ; ses arguments. On a vu le cas Baâziz, une idole de la protest-song, converti en ambassadeur de bonne volonté. Il arguera que “Bercy était une tribune pour dénoncer la hogra”. Deux autres exemples forts : Idir et Aït Menguellet. Au moment où l'un parle d'instrumentalisation de la culture par le pouvoir (Idir), l'autre parlera, lui encore, de “tribune à saisir”, et de “chance pour les artistes de se produire et de s'exprimer”. Et puis, il y a cette printanière visite de Chirac qui a l'effet d'un 1er novembre dans le “boostage” des relations entre les deux Peuples/Etats/Pays/Nations. Dans son discours d'hier, Chirac a parlé en des termes pour le moins jubilatoires, de cette Année dont l'écho est qualifié de “retentissant” pas seulement en France, mais dans toute l'Europe, à en croire oncle Jacques. Déjà Hervé Bourges disait dans une conférence de presse liminaire, en décembre dernier : “Jamais un tel effort de dialogue culturel n'avait été entrepris entre les deux peuples !” Olivier Poivre d'Arvor, donc, pour en revenir à lui, et que nous avons rencontré à la villa Pouillon avant-hier, (où il accompagnait son frère, PPDA) a profité de cette rencontre avec la presse pour faire le point sur cette houleuse “Saison algérienne”. L'homme se fend d'un premier bilan chiffré des plus euphoriques, pour dire que pour un prélude, ce fut une entrée en matière somptueuse. Extraits : “L'Année de l'Algérie a démarré très très fort avec le concert de Bercy. En deux mois, pas moins de 250 manifestations se sont produites. Elles ont drainé un million de visiteurs. Il en reste encore quelque 1 000 à 1 200 autres, avec un total de six à sept millions de visiteurs escomptés d'ici à la fin de l'année”, dit-il. Ainsi, cet engouement du public qu'on cherchait tant, serait tout simplement disséminé à travers les mille et une salles de spectacle où ces manifestations se produisaient. Une manière de dire que l'on aurait tort d'appréhender l'événement sous un prisme étroitement “parisien”. OPDA situe surtout l'impact de cette Année dans le fait que l'image de l'Algérie s'est sensiblement améliorée dans le mental du Français : “Avant, de la culture algérienne, on ne connaissait que le raï. Aujourd'hui, on découvre l'extrême richesse d'un peuple et de “ses” cultures, qui sont millénaires. On découvre ainsi que la présence française n'était qu'un moment dans l'Histoire foisonnante de ce pays.” Parlant de la manière dont la presse française s'est impliquée dans le sujet, il dira : “Jusqu'ici, on ne parlait de l'Algérie que pour faire le décompte des morts et des massacres. Aujourd'hui, il ne se passe pas de jour sans qu'il y ait un papier dans la presse. Le Monde vient de consacrer cinq pages entières à l'Algérie. Même un journal comme Libération qui n'est pas connu pour faire des papiers sympathiques sur votre pays, consacre de plus en plus de surface à la culture algérienne.” Et de lancer cet autre indice révélateur : “Nous avons récolté une revue de presse de 1 200 pages, soit largement plus que la moisson des articles consacrés à toute l'année du Maroc ou le bicentenaire de la Révolution française. Sous l'Année du Maroc, un Français sur cent n'était pas au courant de la tenue de la saison de ce pays.” Réfutant que les médias lourds se soient moins intéressés à l'événement, il précisera : “Les grandes chaînes de télévision ont consacré au total 120 minutes de JT soit de prime time à l'Algérie. On se souvient particulièrement du traitement réservé à l'entrée de Kateb Yacine au répertoire de la Comédie française, ou encore la lecture faite par Gérard Depardieu de saint Augustin à Annaba.” Dans le domaine éditorial, il est fait état de la publication de 500 livres, entre inédits et opus réédités. Phénoménal. Ceci étant dit, OPDA se défendra farouchement que son entreprise soit un label de promotion de l'image d'un pouvoir en mal de pub, à la solde d'une poignée de généraux. Son argument est que même les artistes récalcitrants avaient leur place dans ce large mouvement. “Nous avons opéré avec une très large liberté de manœuvre. L'essentiel pour nous, ce n'était pas d'embrigader les artistes sous le label officiel ou de cautionner quoi que ce soit. Il n'y avait pas d'éléments de censure dans notre démarche. Ce qui comptait pour nous, c'était que des artistes algériens aient la parole en France, et que l'on reconnaisse à l'Algérie “ses” cultures.” Olivier Poivre d'Arvor parlera, enfin, du rôle de cette Année comme d'un extraordinaire catalyseur de rapprochement et de connaissance mutuelle entre les deux peuples, par le biais d'un vecteur aux effets fantastiques : la culture. “Au-delà de ce que les générations d'hier ont vécu, entre torture, OAS, harkis, pieds-noirs, les clichés sur l'immigration, etc, ce qui compte aujourd'hui, c'est que des individus et des sociétés civiles se retrouvent, pour se projeter ensemble dans l'avenir, et ne pas rester prisonniers du passé”, a-t-il conclu. M. B. DJAZAIR 2003 - Le ton a été donné par la caricature de Dilem : le président Chirac accueille le président Bouteflika à Alger. Passeports à la main, des jeunes Algériens ont scandé : “Chirac des visas ! Chirac président !” (de l'Algérie ?) Autrement dit : Bouteflika, basta ! Bouteflika, on veut pas ! Lui qui voulait utiliser cette visite pour redorer son blason a été servi en eurovision. Par la grâce de la gestion calamiteuse de Bouteflika, l'année de l'Algérie en France s'est transformée en année de la France en Algérie. Le dey et les archs Moment fort du séjour algérois de Chirac : le président français offrant aux Algériens le sceau du Dey Hussein, geste présenté comme la restitution à l'Algérie “d'un symbole de souveraineté”. Tragique erreur ! Le Dey Hussein a plié bagages juste après sa capitulation, le 5 juillet 1830, embarquant ses trésors dans des felouques vers la Turquie, sa mère patrie. Ce sceau, c'est le relais qu'un occupant a passé au suivant. Faut-il voir l'intervention de l'esprit des ancêtres lorsque le sceau a manqué de dégringoler par terre lors de la cérémonie de remise officielle ? Ce n'est pas le Dey Hussein qui s'est battu pour Alger, mais les archs kabyles descendus de leurs montagnes. Ces archs dont la police a embarqué les délégués sans ménagement à l'arrivée du président français. A chaque époque ses archs : c'est vers les archs oranais que Chirac s'envole, aujourd'hui, avec le délégué Bouteflika. Hend Sadi