Dans son discours d'ouverture de la rencontre gouvernement-walis, le Président a d'emblée répliqué à la rodomontade de son ministre d'Etat : “Toute personne ayant des dossiers ou des preuves doit impérativement et promptement en saisir les services compétents de la justice sans autorisation préalable de qui que ce soit. C'est là un droit de chaque citoyen, de chaque responsable à tous les niveaux, en même temps qu'un devoir…” On comprend que Abou Djerra Soltani, sentant la réplique arriver, ait pris les devants et, perdant de sa superbe, se soit rappelé qu'il ne fût pas “détective privé”… La corruption est une question politique et non judiciaire, se justifie le ministre, battant en retraite. C'est politique, en effet : quoi de plus propice à faire avancer la bonne gouvernance et l'Etat que d'obliger la justice à se saisir des cas de forfaiture des responsables ? C'est, au demeurant, le ministre qui a parlé de “dossiers”, terme par lequel on désigne plus généralement les pièces rassemblées en vue d'une procédure judiciaire. Il n'y a pas longtemps, c'était le temps béni du crime de “mauvaise gestion”. Un ou deux cadres en prison, de temps à autre, des “dossiers” constitués dans les cabinets administratifs et jugés “en l'état”, et l'honneur des régimes était sauf à moindres frais. Tout ce qui concerne la promotion de la transparence est politique. Malheureusement, la corruption a été et reste, en même temps qu'un fléau incontestable, une question plus politicienne que politique. S'il y avait des justiciers dans ce pays, on s'en serait rendu compte, on l'aurait su. Dans le sérail comme dans sa périphérie, on préfère utiliser la virtualité de leur information à des fins d'intimidation ou de menace plutôt que de la mettre au service de la salubrité nationale. Il est significatif que même les scientifiques abordent le thème avec une prudence de politiciens. À l'ouverture du colloque sur le développement et la bonne gouvernance, le président de l'Association nationale des économistes algériens nous apprend que “la faiblesse du niveau de bonne gouvernance dans les pays en voie de développement engendre chaque année des pertes financières évaluées à 50% des ressources dont ils disposent”. Il aurait été souhaitable de voir nos économistes mesurer le niveau de gestion des ressources nationales et quantifier les éventuelles dissipations qui en découlent. Il semble plus aisé de s'en tenir à des considérations globalisantes que de s'avancer en terrain local. La confusion, comme la censure, compromet le débat. Entre la prudente retenue de ceux qui peuvent en parler et l'intrépide déblatération de ceux qui ne le peuvent pas, les fléaux qui minent le développement du pays ont encore un bel avenir devant eux. La vitupération hasardeuse discrédite la critique responsable et contribue à pérenniser cette culture qui autorise les discours génériques sur l'Etat et la société et décourage l'examen scrupuleux des lieux. Le contexte n'est décidément pas mûr pour l'autocritique et la réforme. La corruption, on en parlera peut-être encore longtemps. M. H. [email protected]