La Trahison, Mon Colonel, Indigènes, Nuit noire, Ennemi intime… la guerre d'Algérie se raconte sans fausse réserve, enfin en France, à travers des fictions, signées par de jeunes réalisateurs. Une fiction pas très éloignée de la réalité dont elle est inspirée. Et si nombre de ces cinéastes français s'intéressent à cette partie de l'histoire, c'est qu'ils se sentent tous concernés quelque part. Selon l'historien Benjamin Stora, ils sont, aujourd'hui, quelque cinq à six millions de Français directement concernés par cette histoire, en marge de l'histoire française. “Tous ses acteurs, trois millions environ en 1962, essentiellement des soldats (1,5 million), pieds-noirs (1 million), immigrés (400 000), harkis (10 000) ont eu des enfants qui sont maintenant devenus adultes.” Si certains cinéastes, scénaristes ou acteurs font partie des personnes directement concernées, d'autres ont choisi de réconcilier la France avec son histoire coloniale, notamment avec une guerre tue. Répondant à un devoir de mémoire ou simplement pour reconstituer des faits historiques occultés, aussi par la fiction, des producteurs et cinéastes osent approcher frontalement une histoire taboue jusqu'à 1999, date à laquelle les députés français votaient l'appellation “guerre d'Algérie”. Longtemps occultée par le cinéma français, la guerre d'Algérie revient par la grande porte. Elle est montrée sous toutes ses coutures dans les salles noires françaises. Chaque sortie de film est une occasion pour ouvrir le débat sur ce qui s'est réellement passé. L'esthétique de l'image n'enlève rien à l'atrocité de la torture, des assassinats et autres exactions. L'histoire qui n'intéressait pas particulièrement les Français s'impose à travers des films signés par des Français. Dans son film Nuit noire, 11 décembre 1961, Alain Tasma raconte une nuit d'horreur au cœur de Paris et les exactions de la police de Maurice Papon. Laurent Herbiet, pour son premier long métrage, s'attaque aux politiques qui ont cautionné la pratique durant la guerre d'Algérie, tout comme Florent Emilio Siri qui signa Ennemi intime. Indigènes de Rachid Bouchareb, une production française racontée par des Français issus de l'immigration, trouve tout le succès même parmi les politiques. Philippe Faucon aborde, subtilement, dans la Trahison, à la fois l'histoire des harkis, la pratique de la torture et les questionnements des jeunes appelés qui se retrouvent, du jour au lendemain, pris dans l'enfer d'une guerre sans nom sur une terre qui leur est totalement étrangère. Largement inspirés de faits réels, les histoires racontées sont, en quelque sorte, des tentatives pour faire la lumière sur ce qui s'est passé et comprendre le passé pour mieux vivre le présent et construire le futur. “Le temps est passé, les passions se sont calmées, les politiques et les militaires qui étaient au pouvoir à l'époque sont à la retraite ou ont disparu. On peut maintenant aborder ce sujet plus sereinement et c'est certainement plus simple pour les réalisateurs de ma génération qui n'ont pas vécu cette période. Et puis, les 2,5 millions d'appelés qui ont servi en Algérie sont tous aujourd'hui à la retraite. Et comme toujours à cette période de l'existence, on fait un retour sur ce qu'a été sa vie. Ils ont tu pendant plus de 40 ans les souvenirs douloureux et parfois honteux que leur a laissés cette jeunesse abîmée par la guerre”, dit Laurent Herbiet. Plus simples, les choses sont certainement aujourd'hui plus faciles pour tous les réalisateurs français, qui choisissent d'emprunter les chemins de l'histoire et d'aborder la guerre d'Algérie. Car, l'omerta longtemps faite sur cette guerre nourrira longtemps l'amnésie sur une partie de l'histoire de France. Et toute création, livre ou film, abordant la question, fera l'objet de censure. Ainsi, les premières images engagées de René Vautier, l'Algérie en flammes, ne seront pas vues en France. Les évènements d'Algérie reviendront dans le cinéma français par le biais d'allusions faites dans les Parapluies de Cherbourg (1964), de Jacques Demi, et dans Adieu Philippine (1963), de Jacques Rozier. Le petit soldat de Godard, sujet de censure pendant trois années, approchera de façon frontale l'épineux sujet et suivra un groupe du FLN en activité en Suisse. Suivront Elise ou la vraie vie, de Michel Drach (1970), Avoir 20 ans dans les Aurès, de René Vautier (1971), R.A.S., d'Yves Boisset (1973), la Question, de Laurent Heynemann, la Belle vie, de Robert Enrico, l'Honneur du capitaine, de Pierre Schoendoerffer (1982), Outremer, de Brigitte Rouan (1990), les Roseaux sauvages, d'André Tchiné (1994)… et la liste n'est pas exhaustive. Cinéma mémoriel ou cinéma tout court, la guerre d'Algérie, depuis ses premières heures, a toujours alimenté l'imaginaire des hommes du 7e art français. Des images engagées, dénonciatrices ou simplement narratrices racontent les vérités tues. Produire de l'image pourrait-il contribuer à comprendre une histoire et à apaiser des ressentiments refoulés ? Une chose est sûre, c'est que de part et d'autre de la Méditerranée, deux peuples commencent à mieux se regarder. On aura beau ériger des stèles pour célébrer l'OAS, penser des lois sur les bienfaits de la colonisation, les images seront toujours présentes, vivantes pour apporter la contradiction et faire entendre et montrer les témoignages des voix basses et de ceux à qui on ne donne jamais la parole. W. L.