Reconduit dimanche dernier à la tête de la CNCDPDH, l'avocat a un mois pour ficeler son expertise. Les atteintes à la liberté de la presse et au pluralisme syndical, l'insuffisance des amendements du code de la famille, la difficulté d'accès des citoyens aux droits les plus élémentaires comme l'eau et l'emploi, ainsi que la mauvaise qualité de l'enseignement constituent ses principales réserves. Le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative de défense et de promotion des droits de l'homme (CNCDPDH) sur la situation des droits de l'homme en Algérie date de 2004. Depuis deux ans, plus aucune expertise n'a été élaborée. Pour cause, le 9 octobre 2005, le mandat de la commission arrivait à son terme. En attendant que le sort de ses membres soit tranché par le président de la République, l'institution de Farouk Ksentini était mise en veille. Pour sa part, l'avocat en sa qualité de président du mécanisme ad hoc sur la question des disparus se consacrait à assainir cet épineux dossier. Parallèlement, et en l'absence de ses collaborateurs, Me Ksentini s'est employé à établir son propre constat de l'évolution de la situation des droits de l'homme. “Le rapport est prêt, mais il faut qu'il soit visé par les nouveaux membres”, a-t-il dévoilé hier, au lendemain de sa reconduction par M. Abdelaziz Bouteflika à la tête de la CNCDPDH. À la question de savoir pourquoi le président de la République a mis autant de temps avant de lui renouveler sa confiance, l'avocat du barreau de Blida assure qu'il s'agit là d'une simple formalité. “Le chef de l'Etat m'a reconduit dans mes fonctions verbalement il y a longtemps”, confie-t-il. En même temps que Me Ksentini, le chef de l'Etat a avalisé la nomination des 44 autres membres de la commission. Parmi les anciens figuraient des ex et actuels membres du gouvernement, dont Mourad Redjimi, responsable du département de la Santé et de la Population, Nouara Djaâfar, ministre déléguée à la Famille, et sa collègue de la Recherche scientifique Souad Bendjaballah. Mais les adjoints de Me Ksentini sont surtout des représentants des ministères les plus importants de l'Exécutif. “Il y a des gens qui ont quitté leurs fonctions et qu'il fallait remplacer. Ce sont les enquêtes d'habilitation qui ont retardé leur désignation”, explique le président de la CNCDPDH. Dans les tout prochains jours, une réunion est prévue au siège de l'instance consultative à Alger pour mettre les dernières retouches au rapport. Selon Me Ksentini, il sera remis au Président au courant du mois de janvier, soit dans un mois. Si l'avocat continue à confirmer l'accomplissement de progrès en matière de protection des libertés individuelles et collectives, il cible de nombreux points noirs. Les atteintes à la liberté de la presse et la menace persistante sur l'exercice du droit syndical font partie des nombreuses réserves qui émailleront le rapport. Le mépris affiché à l'égard des justiciables au sein des services de tutelle et des contribuables dans les administrations est une énième critique. En de nombreuses fois, Me Ksentini s'est élevé contre l'exercice de la justice par les professionnels du secteur. Sa dénonciation obstinée du recours abusif à la détention préventive, des brutalités à l'égard des prévenus et du surpeuplement des établissements carcéraux l'a souvent exposé au courroux des magistrats. Pourtant, le président de la CNCDPDH est loin d'être le seul à avoir exprimé ce genre d'opinion. Des confrères et des ONG locales et internationales en font des gorges chaudes. La condition des femmes n'est guère réjouissante La condition des femmes dans notre pays, sans cesse remise en cause extra-muros, n'est guère réjouissante, constate Me Ksentini. À ses yeux, les modifications opérées dans le code de la famille en 2005 sont très insuffisantes. D'ailleurs, il a fixé, parmi les priorités de la commission, l'usage de pressions sur le gouvernement pour introduire de nouveaux amendements. Sur un autre chapitre qu'il intitule “Droits sociaux”, Me Ksentini se montre encore plus sévère. Il stigmatise le système éducatif notamment, qu'il n'hésite pas à qualifier de médiocre. “L'enseignement est de très mauvaise qualité”, assène-t-il. De même, la difficulté d'accès des citoyens aux besoins les plus élémentaires, comme l'eau potable et l'emploi ainsi que les manquements en matière d'hygiène et de salubrité publique le scandalisent. Enfin, sur le dossier de la réconciliation nationale, le président de la commission demande à l'Etat de tenir ses engagements en faveur “des victimes de la tragédie nationale”. Ce qui n'a pas l'air d'être le cas. “Nous recevons une moyenne de 20 à 30 plaintes par jour au niveau de la commission de la part de gens n'ayant pas été soit indemnisés (les familles de terroristes) ou réintégrés dans leur emploi (repentis).” Les anciens incarcérés dans les camps du Sud s'adressent aussi à la commission en vue de réclamer une réparation de l'Etat. Il est à rappeler que la CNCDPDH a été créée le 25 mars 2001 en vertu d'un décret présidentiel. Samia Lokmane