Cent quatre accusés, onze absents, près d'une centaine de personnes morales et physiques partie civile, presque autant de témoins, dont deux ministres de l'actuel gouvernement, et des personnalités politiques, sportives ou syndicales, au moins 150 avocats et un nombre incalculable de journalistes de la presse nationale et internationale… Le procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank s'est ouvert hier au tribunal criminel près la cour de Blida sous la présidence de Mme Fatiha Brahimi, et des deux assesseurs, les présidents des tribunaux de Chéraga et Tipasa. La grande salle du palais de justice de Blida ne suffira pas à contenir l'ensemble. Des dispositions ont été prises pour n'autoriser la présence dans la salle que des personnes convoquées par la justice en qualité d'accusés ou de témoins, ainsi que la presse. Les responsables de la Cour ont d'ailleurs jugés bon de ne consacrer la matinée qu'à l'affaire de “Rafik Abdelmoumen Khalifa et consorts…” en reportant pour l'après-midi le reste des affaires traitées au niveau de Blida. Si les spéculations sur un éventuel report allaient bon train avant l'entrée des magistrats, il a fallu à peine cinq minutes à la présidente du tribunal, Fatiha Brahimi, pour lever les doutes. Avant le commencement des procédures préliminaires, la présidente a invité, comme le prévoit le code de procédures pénales, la défense et le parquet à définir “ensemble” une stratégie de travail pour le bon déroulement des audiences. Celles-ci doivent, précisera-t-elle, “durer des jours”. L'ambiance était quelque peu crispée avant l'ouverture du procès avec une tension quasi palpable entre certains avocats, pour les accusés comme pour les témoins, celle-ci s'est allégée au fur et à mesure que la séance avançait. La présidente procédera à la présentation des accusés, des victimes et des témoins. Sur les 104 inculpés, onze accusés font défection. Sept sont considérés en “état de fuite” par la justice depuis l'ouverture de l'instruction judiciaire. Rafik Abdelmoumen Khalifa, réfugié depuis 2003, à Londres, figure en tête de liste. Cinq autres cadres principaux du groupe Khalifa, Krim Ismael, Bouabdallah Salim Bey, Nanouche Mohamed, Kébache Ghazi, Taybi Sakina Taous, ainsi que l'ex-épouse de Khalifa, Amirouchene Nadia sont absents. C'est surtout la défection des trois inculpés Keramane qui focalisera l'attention. Abdelwahab Keramane, ex-gouverneur de la Banque d'Algérie, son frère Abdenour, ex-ministre de l'Industrie ainsi que Yasmine Kéramane, ex-responsable de Khalifa Airways à Milan ne se sont pas au tribunal. “Nous restons à leur attente. Les trois absents ont la journée d'aujourd'hui pour se présenter”, a précisé la présidente. Le cas échéant, ils seront jugés par contumace au même titre que Khalifa et les autres accusés absents. Parmi les personnes inculpées figurent aussi les responsables de la banque, le notaire qui a rédigé les statuts de la banque et des autres filiales du groupe, les ex-directeurs des agences des OPGI de plusieurs wilayas et les directeurs généraux d'organismes nationaux tels que la Société nationale de prospection, la Société nationale de géophysique, Cnas, Casnos, Cnac, CNR et des responsables syndicaux. Le commissaire divisionnaire, Belarbi Salah Hamdane, président du département santé à la Direction générale de la Sûreté nationale, comparaît également ainsi que le directeur général de Saidal, Ali Aoun, et l'ancien entraîneur de l'équipe nationale de football Meziane Ighil et actuel entraîneur de la sélection nationale espoir. Interrogé par la présidente sur sa fonction, Meziane Ighil dira qu'il était conseiller sportif. Tous les sports ? demandera la présidente. “Non, juste le foot”, répondra l'accusé. “Je m'en doutais un peu”, dira la magistrate. La présidente informera par ailleurs de la décision prise du président de la cour de mettre à la disposition du tribunal tout au long du procès de deux conseillers et deux membres du jury populaire suppléants afin de parer à toute éventualité. Selon l'ordonnance lue par la magistrate, les magistrats et les jurys suivront le déroulement de toute l'affaire. De même que des médecins seront mobilisés. “C'est assez rarissime. C'est justifié par le caractère spécifique du procès et la durée que cela va prendre…”, dira un avocat. Un autre soulignera que “la présidente fait exception, elle est très correcte et à l'écoute de tous…” Près de 120 organismes et personnes se sont constitués partie civile. La liste comprend des agences de wilayas de l'OPGI, des EPLF, la Fédération nationale de la Sûreté nationale, l'Entreprise du port d'Oran, l'Institut Pasteur, l'Algérienne des Eaux, la Cnan, le président de l'association du Téléthon des inondations de Bab El-Oued, le holding Sonatrach des services parapétroliers, la Banque d'Algérie, la Cnas, la Casnos et la Société du métro d'Alger, l'Office national des publications scolaires, le FNPOS, la Mutualité du pétrole, la Société d'assurance des hydrocarbures... et bien d'autres encore. Des témoins “inattendus” et des absents de marque La matinée a été aussi consacrée à l'examen de la liste des témoins. Celle-ci comprend des personnalités dont certains ministres du gouvernement de Abdelaziz Belkhadem. Mourad Medelci, grand argentier du pays et Karim Djoudi, ministre délégué à la Réforme financière étaient à Blida par souci de “transparence”. Mourad Medelci indiquera en marge de l'audience que “le procès a commencé et il continuera, il suivra son cours dans les prochains jours…” L'Algérie est engagée, dira-t-il, dans la lutte contre la corruption et “il n'y a aucun doute à ça...” La présidente du tribunal invitera les différentes parties à convenir d'un “rendez-vous” avec les ministres. “Certains témoins ont des responsabilités importantes. Nous conviendrons d'un rendez-vous et nous le respecterons…”, dira-t-elle. Mourad Medelci et Karim Djoudi seront entendus samedi prochain. Mohamed Laksaci, l'actuel gouverneur de la Banque d'Algérie, Abdelmajid Amghar ex-inspecteur général des finances et actuel président du conseil de la CTRF, Abdelmajid Tebboune, ex-ministre de l'Habitat, M. Djellab ex-administrateur d'El Khalifa Bank et actuel P-DG du CPA, M. Badsi, le liquidateur de la banque, Lakhdar Belloumi et Raouraoua ainsi que Omar Abed, le représentant du collectif des clients d'El Khalifa Bank étaient également présents. Seuls manquaient à l'appel Abou Djerra Soltani, ministre d'Etat, Abdelmajid Sidi-Saïd, secrétaire général de l'UGTA et Mohamed Terbache, ancien ministre des Finances. “Leur présence est obligatoire, ils viendront malgré eux s'il le faut… Nous enverrons les mandats d'amener”, dira la magistrate. Les présidents de certains clubs de football, ceux sponsorisés par le groupe Khalifa étaient également présents tels que Hannachi de la JSK, Messaoudi, ex-MCA, Zaïm pour Blida, Djebari (MCO), Lefkire Mohamed (ex-président du CRB), Allik (USMA), Medouare (ASO Chlef), Meribout (USM Annaba), Bouabdallah (CAP Batna), Yahi (US Chaouia). Polémique autour des témoins “Si la présence d'un témoin est jugée obligatoire, avisez-nous et nous enverrons un mandat d'amener”, précisera la présidente au collectif des avocats. Me Berghel demandera d'ailleurs la présence de l'ex-Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia. Une requête qui étonnera la magistrate. “Ahmed Ouyahia ne figure pas dans le dossier, son nom n'est pas du tout cité dans l'affaire. Pas une seule fois… Si nous voyons dans les jours qui viennent que sa présence peut éclairer le tribunal, nous le ferons au cours des audiences…”, dira-t-elle. Me Berghel précisera que sa présence est importante en sa qualité de premier responsable de l'Exécutif. “Je me suis engagée à ramener au tribunal tous les noms cités dans l'affaire. Nous voulons travailler main dans la main avec la défense. Mais je ne sors pas du cadre de l'affaire. Je n'ai pas vu le nom d'Ahmed Ouyahia dans le dossier. Vous nous surprenez avec ce nom. Laissez quelques jours, si sa présence s'avère utile, nous ferons le nécessaire. Tous ceux présents dans l'arrêt de renvoi ont été convoqués, Medelci, Sidi-Saïd, Soltani... Ceux qui sont en dehors du dossier, ça viendra avec le temps. La politique (du tribunal, ndlr) est claire, la justice est au-dessus de tous. La liste des témoins n'est pas fermée”, rétorquera la présidente du tribunal. La magistrate a décidé de ne pas suivre l'ordre chronologique de l'arrêt de renvoi mais plutôt de traiter l'affaire comme elle s'est produite. “Nous procéderons par étape avec la genèse de El Khalifa Bank. Nous allons suivre une certaine logique...”, dira-t-elle. Il s'agit en réalité de reconstituer le scandale Khalifa depuis la constitution de la banque jusqu'à l'éclatement de l'affaire et l'ouverture de l'instruction judiciaire. La séance a été par la suite levée pour reprendre en milieu d'après-midi avec la constitution du tribunal et la lecture de l'arrêt de renvoi. Le procès se déroulera en deux séances quotidiennes. Nul ne peut spéculer sur sa durée. Celle-ci est “indéterminée” mais surtout “indéterminable” au vu de la complexité du dossier, du nombre d'inculpés et de témoins… Samar Smati