Que va-t-il changer en Algérie et au Maghreb si Nicolas Sarkozy était élu ? Investi, hier, en grande pompe, le patron de l'UMP a une “stratégie maghrébine” à plusieurs canaux. Les intérêts antagonistes de l'Algérie, de la Tunisie, du Maroc et de la Libye, avec leurs communautés dynamiques en France, posent, toutefois, une équation quasi insoluble à l'éventuel prochain président français. Dans la garde prétorienne de Sarkozy, les conseillers d'origine maghrébine occupent une place de choix. Si certains voient leur apport comme une caution aux Beurs, les réseaux mis en place au Maghreb par ces spécialistes de ce qu'on appelle le Pool-Maghreb dépasse le cadre hexagonal. Rachida Dati, Abderahmane Dahmane ou Ahmed Guénad sont autant d'émissaires qui aident à faire revivre les réseaux France-Maghreb au bénéfice du candidat Sarkozy, même si en termes de messages et de business, on n'arrive pas à voir clair dans le numéro d'équilibriste de Sarkozy. En Algérie, Sarkozy fait face à une situation inédite. Si, traditionnellement, le candidat de la droite française est souvent en tête des préférences algériennes, le ministre français de l'Intérieur devra composer, aussi, avec Ségolène Royal. Non pas que la candidate socialiste jouit d'une cote de sympathie auprès des dirigeants algériens mais par le fait que Sarkozy pâtit de la perte de crédibilité de la droite, surtout des prises de position de Chirac et du Quai d'Orsay. En attendant Ségolène Royal en Algérie Historiquement, Sarkozy a emprunté les canaux informels algéro-français pour se poser comme le dépositaire de la ligne Pasqua et des réseaux Marchiani, Bonnet et à un degré moindre du général Rondot. Sa volonté de ne pas couper le fil avec les autorités algériennes trouve son explication dans ses calculs politiques vis-à-vis d'une Algérie qui ne décode pas assez les intentions diplomatiques de Sarkozy. Troublé par l'alignement sans état d'âme de Chirac sur le Maroc, Alger redoute que Sarkozy n'affiche pas une neutralité nécessaire au Maghreb à même d'apaiser les tensions existantes. Si Sarkozy a sensiblement opéré un virage sur la question de la mémoire et du traité d'amitié, chers à Chirac et aux dinosaures gaullistes, il a fait preuve d'une propension assez regrettable sur la question des visas lors de sa visite à Alger en novembre 2006. Présentant, ainsi, une mesure de réajustement — mise en conformité des procédures de délivrance avec le Maroc et la Tunisie, sans plus — comme étant la panacée. Les observateurs s'accordent à dire que le président Bouteflika, un allié qu'il s'agissait de courtiser, lui avait plombé sa fin de visite en parlant de sa santé ; occultant les déclarations de Sarkozy ou un bilan d'un séjour qui a été perçu, du côté algérien, comme un show médiatique destiné à un public maghrébin se trouvant en France. Alger ne fournissant que le décor de cette prestation bien organisée en pensant, jusqu'au dernier moment que Sarkozy n'irait pas à Tibhirine, lieu d'une tragédie qui a créé un fossé entre Algériens et Français. En équilibre entre Alger et Rabat Car rien ne dit que Sarkozy soit reparti avec les soutiens espérés. Il faut dire que l'accueil réservé au secrétaire général du PS, François Hollande, a surpris autant à Paris qu'à Alger et que, rien encore, dans le programme de Ségolène Royal, surtout sur le volet diplomatique et économique, ne laisse filtrer la nouvelle position des socialistes français au Maghreb. Une interrogation qui sera certainement levée avec la visite de Mme Royal au Maghreb, probablement, avant les élections d'avril 2007, si jamais elle tente ce pari risqué du fait de l'importance du vote arabe, voire maghrébin. Ce préjugé favorable peut s'expliquer par le fait que Royal avait refusé, récemment, de se rendre à Tanger après avoir exprimé quelques réserves sur la situation des droits de l'Homme dans la région. À l'inverse, l'épisode navrant de l'intervention du chef de cabinet de Sarkozy, Brice Hortefeux, sur insistance de l'ambassade du Maroc à Paris, demandant aux élus de certaines localités d'interdire le drapeau du Sahara occidental lors de manifestations de solidarité avec le Polisario de municipalités françaises en dit long sur les interventions officieuses des proches de Sarkozy en faveur du Maroc. Paris et la menace GSPC Reste qu'en se prononçant contre l'adhésion de la Turquie à l'UE et en prenant ses distances avec les Etats-Unis lors du discours d'investiture, hier, Sarkozy se place en rassembleur d'une droite émiettée où les tenants de l'extrême droite auscultent toute concession aux pays du Maghreb, voire à l'Algérie. Lobbys d'anciens pieds-noirs issus de l'OAS, associations d'anciens militaires français ayant fait la guerre d'Algérie, conglomérats des harkis et autres nostalgiques de l'Algérie française, notamment dans les rangs du lobby juif sépharade voient mal le glissement pro-algérien de Sarkozy sur certains dossiers, notamment celui de la sécurité, des visas et de la mémoire. Même sur ce dernier point, Sarkozy a donné des garanties à la droite en estimant que “la France n'a pas à se repentir”. Sur le plan antiterroriste et en ne voulant pas quitter son poste Place Beauvau, Sarkozy compte sur la coopération maghrébine qui lui éviterait une crise sécuritaire. En effet, avec les menaces récurrentes du GSPC contre la France, Sarkozy craint un passage à l'acte sous forme d'attentats antifrançais au Maghreb ou en France qui risqueraient de remettre l'enjeu antiterroriste au cœur de la campagne présidentielle. Un peu à la manière de ce qui s'est passé lors de l'élection de Zapatero en Espagne. Sarkozy, en voulant contenter tout le monde, perdra-t-il son pari maghrébin qui sera, inévitablement, fondé sur un équilibrisme diplomatique ? À l'inverse de Chirac, il délaissera quelque peu le Moyen-Orient pour se concentrer sur un Maghreb qui a été investi par l'influence américaine, russe ou voire chinoise. Mounir B.