“Issiakhem, la face oubliée de l'artiste”, est un hommage à l'œuvre du peintre M'hamed Issiakhem rendu récemment par son ami Djaâfar Inal. Ouvrage de 120 pages, publié sous la direction de ce dernier, il comporte des travaux jusque-là méconnus de l'artiste qui ont été réalisés hors du champ “sacré” de la peinture. Dans cette investigation autour de l'œuvre et de l'artiste, qui s'affirme dans les recherches (plus de 40 ans) de Djaâfar Inal, les textes de Nadira Laggoune et d'Aklouche, ainsi que la contribution de Boualem Hammouche, chargé du crédit photographique, on découvre un nouveau visage de M'hamed Issiakhem. On n'est plus devant la peinture expressionniste de l'artiste, si bien connue du monde des arts, mais face à une activité débordante, fournie dans la presse, dans l'édition ou ayant fait l'objet de commandes publiques. M'hamed Issiakhem est né le 17 juin 1928 près d'Azeffoun, dans la région de Kabylie. Dans les années 1940, un événement douloureux se produit et le marquera toute sa vie : une grenade volée aux militaires américains lui explose dans les mains et lui coûtera un de ses bras, ainsi que la vie de ses deux sœurs et de son neveu. Etrangement, c'est dans cette période que s'exprime son penchant pour le dessin. Et ce talent sera alors utilisé par le jeune M'hamed pour réaliser, dès 1945, des portraits de dirigeants du mouvement national. Il étudiera par la suite, jusqu'en 1951, à la Société des beaux-arts et à l'Ecole nationale des beaux-arts et aura d'autres occasions d'approfondir ses études, à l'étranger, notamment en matière de gravure et de peinture. Son engagement pour l'indépendance de l'Algérie et pour les causes qui lui semblaient justes, il l'exprimera dans ses toiles, ses interventions, ses positions et des “illustrations de textes et ouvrages littéraires”. C'est le cas de la nouvelle Le malheur en danger, de l'écrivain Malek Haddad, éditée par La Nef de Paris en 1956. Lors du procès de Djamila Bouhired, en 1958, M'hamed réalise des illustrations sur la torture qui, nous dit-on, seront reproduites pour le compte de la représentation du FLN en Allemagne. Homme de principe et rejetant les compromis, le membre de l'OCFLN (organisation civile du FLN) refusera le prix de la Croix marine, attribué en 1959 par le ministère français de la Santé, pour son travail en ergothérapie fait à une clinique. A l'Indépendance, le peintre rejoint le quotidien Alger républicain, interdit par le colonisateur et qui reparaît en juillet 1962. M'hamed sera le dessinateur humoriste, illustrant les unes du journal, des récits-témoignages, tels que Le camp et Si Salah. Il collabore également avec certaines revues (Révolution et travail, El-Djeïch, Dialogues…) et journaux (Algérie Actualité), et réalise même des illustrations aux poèmes de son ami Kateb Yacine. Interpellé par l'activité artistique algérienne, il s'en va chercher son propre style et des valeurs qu'il finira par retrouver, notamment dans les images de “petites gens” ou des peuples opprimés et colonisés (Palestine, Sahara occidental…). M'hamed Issiakhem va aussi toucher aux caricatures politiques, à la bande dessinée et aux dessins à l'encre de Chine. Il aura à réaliser de nombreuses commandes, à l'exemple des œuvres réalisées dans les années 1980 pour le Musée de l'armée. Il servira en outre des institutions nationales, en concevant l'écusson de la police, l'esquisse de la tenue de la Gendarmerie nationale et les portraits-robots, tout en réalisant pour la Banque centrale tous les billets de banque, “emblèmes de la nation”, qui seront émis avant l'année 1984. M'hamed Issiakhem a même produit des maquettes de billets de banque pour la Mauritanie. Le peintre dont le trait est qualifié à la fois d'”incisif, cruel et ironique”, qui a interrogé l'existence de l'homme et son rapport au monde, exercera également d'autres activités secondaires : enseignant à l'Ecole des beaux-arts d'Alger, directeur de l'Ecole des beaux-arts d'Oran, conservateur de musée, caricaturiste, etc. Issiakhem, la face oubliée de l'artiste, nous fait découvrir un art qui parvient en fin de compte à nous rapprocher de l'artiste, surtout à dévoiler les autres facettes de son travail. Une manière de nous parler de la vie d'un homme où l'art et le patriotisme se confondront jusqu'à sa mort, le 1er décembre 1985. H. A.