Des femmes ont eu à témoigner, lors de notre séjour, sur leur agacement, surtout de leur hostilité vis-à-vis de “la politique coloniale” marocaine, non sans exprimer leur admiration pour les enfants de “l'Intifadha de l'indépendance”, en premier lieu pour Sultana, “la sœur militante”. La campagne de répression lancée, depuis le début du mois de mai 2007, par le Maroc contre les étudiants sahraouis et tout particulièrement l'affaire de Sultana Khaya, qui a perdu l'œil droit à la suite des coups reçus à Marrakech, ont jeté l'émoi dans le camp du 27-Février des réfugiés sahraouis. “L'indépendance et la liberté n'ont jamais été données sur un plateau ; elles ont toujours été arrachées”, s'est écriée Houria ce mercredi 16 mai, quelques heures après notre arrivée au camp. Enveloppée d'une melahfa usée, un long voile aux couleurs bleuâtres, cette dernière, 37 ans, a du mal à se calmer. Et c'est la gentille Fatimatou, notre hôtesse, qui la rappellera à l'ordre, en la renvoyant à “la logique agressive” du royaume du Maroc. “Le Maroc fait ce qu'il veut. Il occupe notre territoire depuis 1975 et n'arrête pas de torturer les Sahraouis pour les faire taire”, déclare, entre autres, Fatimatou d'une voix placide, avant de rejoindre pieds nus Edahb, son autre amie, mère d'une fillette depuis peu, vers un semblant de cuisine construite grossièrement de terre et de bois. “C'est ça, sauve-toi… Voilà ce que moi je pense de tout cela : ils se disent musulmans mais ils sont violents avec les nôtres, ils s'en prennent même sauvagement à nos femmes”, lui crie Houria, en nommant la jeune Sahraouie éborgnée. D'autres femmes sahraouies, jeunes et moins jeunes, parmi elles Lana, Kouria, Selma et Aïcha, ont eu à témoigner, lors de notre séjour, sur leur agacement, surtout de leur hostilité vis-à-vis de “la politique coloniale” marocaine, non sans exprimer leur admiration pour les enfants de “l'Intifadha de l'indépendance”, en premier lieu pour Sultana, “la sœur militante”. Dans la soirée, Houria et Edahb sont revenues chez Fatimatou, l'une accompagnée d'un de ses fils et l'autre de son mari et de sa petite fille. Il faut dire qu'avec Houria, le temps passe vite. Son esprit rebelle, doublé d'une jovialité toute féminine, influe positivement sur le monde qui l'entoure. Comme l'a si bien deviné notre hôtesse, elle a abordé de nouveau le sujet de la matinée, en commentant cette fois les négociations prévues prochainement entre le Front Polisario et le Maroc : “Je ne crois pas en ces négociations, avec cette répression et les condamnations dont sont victimes les Sahraouis qui sont de l'autre côté du mur. J'ai même l'impression qu'il y a comme un consensus autour du statu quo.” Quand cette femme au port altier aborde la colonisation au XIXe siècle de son “petit pays” par l'Espagne, puis l'occupation marocaine au siècle suivant, elle les classe en bonne croyante parmi “les épreuves de la vie” que devait endurer le peuple sahraoui “pour mieux s'affirmer et retrouver la voie de la liberté”. Et quand elle parle des “taghayourat”, ces transformations survenues ces dernières années dans les camps, ses grands yeux rieurs s'illuminent en se remémorant l'arrivée des panneaux solaires, des téléviseurs et de toutes ces “boutiques” de légumes et fruits, de viande, de téléphone et d'informatique, qui visent à améliorer le quotidien des réfugiés. Mais, ils finissent par s'assombrir à la seule évocation de la vie d'exil dans des camps et de “l'oisiveté qu'il enfante”. Le jeudi, en fin de journée, Fatimatou est un peu nerveuse. Elle a confirmé notre départ, prévu pour le lendemain matin, vers les territoires libérés. “J'espère que tu viendras me voir à ton retour dans les camps”, lance-t-elle d'une voix troublée, en s'installant derrière sa théière. Qui penserait un instant que ce petit bout de femme, mère de trois adolescents, est âgée d'à peine 33 ans, alors qu'elle en paraît bien plus ? La vie dans la hamada et le poids des accouchements semblent avoir pesé lourdement sur son visage et même sur son corps. “La vie en exil est pénible. Je pense souvent aux membres de ma famille qui vivent encore de l'autre côté du mur, à tous nos biens confisqués… et les rations alimentaires se sont réduites ici dans le camp”, nous confie-t-elle, quelque peu embarrassée par l'absence de commodités. Allongée à même le sol dans un semblant de cour, Fatimatou nous parle un peu de sa vie de femme. Dans les moments de guerre ou de crise, dit-elle, la chance est capricieuse et ne saurait sourire à tous. Nous découvrirons une femme orpheline de mère et de père, qui n'a qu'un seul frère dans les campements de réfugiés, pour lui venir en aide de temps à autre. Une femme sans ressources dont deux enfants, les plus grands, ne vont plus à l'école depuis quelques années. “Je suis mariée sans l'être ; mon époux s'est remarié depuis une dizaine d'années et vit dans le camp de Smara. Il ne veut ni divorcer ni m'aider”, soutient-elle, en ajoutant très vite avec une note d'ironie : “Moi aussi, je vis ma période de ni guerre ni paix.” À sa façon bien entendu. Plus tard, nous apprendrons également de la bouche de Houria et d'Edahb que notre hôtesse a vécu le calvaire lors des inondations de l'année passée qui ont frappé en particulier les camps, principalement celui du 27-Février. Et, comme beaucoup de familles réfugiées, elle a perdu le peu qu'elle possédait et garde encore les séquelles de ce traumatisme récent. Selon Edahb, les matelas en éponge, les couvertures, les coussins et les quelques tapis, que Fatimatou avait notamment, ont été sérieusement abîmés, au point de ne plus lui servir à grand-chose. Du moins, pas pour les présenter aux invités ou aux étrangers. “La solidarité entre les réfugiés est déterminante aujourd'hui plus que par le passé, car l'aide internationale s'amoindrit. Nous continuerons à partager nos souffrances et nos espoirs et nous assumerons notre destin commun”, complète l'étonnante Houria, qui rappelle aussi le soutien matériel, certes imparfait, apporté par le gouvernement sahraoui à tous les réfugiés des camps d'El Ayoun, de Smara, d'Aousserd, de Dakhla et du 27-Février. H. A.