Hier, 10 juin, tous les avocats du pays ont observé une journée de grève à laquelle a appelé le bâtonnat national. L'écrasante majorité des affaires enrôlées pour la journée d'hier ont été finalement reportées, et ce, dans tous les tribunaux et cours du pays. Cette décision a été prise voilà dix jours, suite aux poursuites judiciaires entamées par le parquet de Tlemcen contre un avocat inculpé de dénonciation calomnieuse et d'outrage à magistrat. “Maître Chatri du barreau de Tlemcen a été poursuivi pour avoir déposé une plainte contre un magistrat de la cour de la même ville. Notre confrère a déposé cette plainte pour le compte d'un justiciable”, affirme Maître Baghdadi, membre du conseil de l'Ordre des avocats d'Alger que nous avons rencontré à l'extérieur du nouveau palais de justice d'Alger, où il tenait un piquet de grève avec bon nombre de ses confrères. Le même avocat estime que si cette affaire peut être considérée comme étant la goutte qui a fait déborder le vase, il tient à rappeler en outre que la corporation ne peut continuer à accepter les dépassements devenus “quotidiens”. Il ajoutera à ce sujet : “Nous ne pouvons nous taire désormais. Comment voulez-vous que nous acceptions qu'un confrère soit poursuivi en justice pour avoir remis sa carte de visite à son client ?” Se considérant comme des auxiliaires de la justice, les avocats exigent que les droits sacrés de la défense soient respectés. D'ailleurs les robes noires ne cessent de faire état de la détérioration de l'activité judiciaire, notamment à Alger. “Comment voulez-vous que nous considérions que les droits de la défense et ceux des justiciables sont protégés, quand les décideurs pour la justice ont décidé de limiter à trois le nombre d'audiences à la chambre commerciale ? Les parties n'ont pas usé de tout leur droit de répliquer que l'affaire est déjà mise à l'examen”, déclare Maître Bounineche, lui aussi membre du conseil de l'Ordre d'Alger. Il estime que le nombre d'audiences ne peut être limité, en matière commerciale ou civile. “Il faut donner aux parties adverses tout le temps nécessaire pour répliquer”. Par ailleurs, les avocats tiennent à citer en exemple la conception architecturale de l'ex-palais de justice d'Alger réalisé pourtant au siècle dernier. “Les concepteurs de l'ex-palais avaient réservé le plus beau des services à la corporation des robes noires. Or, dans le nouveau palais de justice situé à El-Annasser, rien n'est prévu pour les avocats, même pas des toilettes”, affirme Maître Baghdadi. Ce dernier juge qu'il est tout à fait logique que le conseil de l'Ordre ait un bureau pour se réunir dans la nouvelle bâtisse. “La corporation de la défense est exclue de fait de cette nouvelle structure”, dit encore Maître Bounineche. Par ailleurs, les avocats exigent que les délais de renvoi soient respectés car le plus souvent ce n'est pas le cas. “Nous sommes aussi contre les audiences surchargées où sont enrôlées jusqu'à 200 affaires pour certaines d'entre elles”, déclare Maître Baghdadi. Quant au procès de Maître Chatri et de son client qui s'est tenu hier devant le tribunal correctionnel de Tlemcen, il a connu moult péripéties. C'est ainsi que l'avocat prévenu s'était présenté à l'audience en robe, chose qui a déplu à la présidente du tribunal qui a refusé de le juger habillé de la sorte. Le prévenu refuse d'ôter sa robe car, tient-il à préciser, “je suis poursuivi en tant que Maître Chatri, et c'est en qualité d'avocat que je dois comparaître”. La présidente décide de le juger sans l'auditionner tant qu'il n'aura pas enlevé sa robe. Maître Chorfi Chérif, qui nous a narré les faits, rappelle que le procureur de la République a requis 6 mois de prison avec sursis et 1 500 dinars d'amende contre l'avocat et son client. L'affaire est laissée à l'examen et le verdict sera connu la semaine prochaine. Pour rappel l'avocat a été défendu par une centaine d'avocats représentant tous les barreaux d'Algérie. Juste après l'audience, les membres du bureau du bâtonnat national sont entrés en réunion pour décider de la suite à donner à leur action. À l'heure où nous mettons sous presse, aucune information n'a encore filtré sur les décisions du bâtonnat national. Saïd Ibrahim