Ils arrivent. Ce n'est pas encore le rush de la mi-juillet à la mi-août, mais les premières fournées commencent à fouler le sol natal. Aéroports et ports sont à l'heure des arrivées de notre communauté à l'étranger. Tout est prêt pour accueillir cette population qui, chaque année, est au rendez-vous pour des retrouvailles d'été dans sa patrie d'origine. Seront-ils aussi nombreux que l'année dernière ? Oui, selon les réservations à destination de l'Algérie qui affichent complet, malgré une offre nettement plus grande que par le passé. Les pavillons étrangers, de retour en Algérie, se frottent les mains et les compagnies nationales ont fait des efforts pour ne pas rester en rade d'une féroce concurrence. La cadence des roulements d'Air Algérie sur les aéroports européens s'accélère. Sa toute nouvelle liaison avec l'outre-Atlantique, le Canada, est surbookée depuis son inauguration en juin dernier. Les débarcadères des ports s'apprêtent également à vivre des rythmes infernaux. Aux arrivées, ça compte les bagages et les enfants, ça discute, ça négocie, ça vocifère et ça rigole. Finalement, la fatigue du voyage s'estompe, direction la résidence d'été : hôtel, bungalow et village natal. Retrouvailles avec la famille, les amis, les derniers potins familiaux et les cadeaux qu'on n'oublie jamais, même si l'on trouve de tout en Algérie. Les bagages défaits, le stress disparaît. Alors, pendant un mois, on pourra se faire plaisir, loin des vicissitudes du pays d'adoption. Refaire le monde avec les cousins et cousines, manger de délicieux plats du terroir, visiter le pays, sortir, se retrouver au milieu des siens, se ressourcer et surtout frimer et faire des envieux… Les célibataires de là-bas sont mitonnés, chouchoutés, couvés. Sait-on jamais, ils pourraient retourner là-bas avec une moitié d'ici. Le charme des vacances au bled, c'est cela pour les émigrés. Un voyage qui permet aussi pour beaucoup d'entre eux de prendre le pouls d'un pays qui bouge. Si les Algériens vivant à l'étranger privilégient toujours les vacances au pays et les retrouvailles en famille, ils sont de plus en plus nombreux à chercher autre chose. Selon des discussions avec des vacanciers émigrés, le désir premier de tous est, avant tout, de prendre des vacances comme les autochtones de leur pays d'adoption et, pour les jeunes, prendre leur revanche sur les concitoyens de là-bas en s'éclatant à fond la caisse dans des plaisirs qui leur sont interdits là-bas, la plage, les boîtes, les achats… Quels rapports au pays Natal ? Le budget moyen de ces vacanciers, hors transport, est de près de 2 000 euros. La nouvelle génération privilégie les hôtels et les bungalows, contrairement à leurs parents qui préfèrent les vacances affectives dans le village natal, près des racines familiales. La preuve que le rapport au pays change. Leurs exigences sont un véritable gisement qui ne demande qu'à être exploité. Les jeunes voyagent encore en famille, mais préfèrent largement la mer au pays profond de leurs parents. Les plus riches ont leurs propres résidences d'été. Les moins nantis louent au bord de l'eau un bungalow, un appartement ou un gîte, au grand dam de la classe moyenne locale pour qui émigré égale nouveau riche d'ici et le tout égale flambée des locations et des prestations de services. Les autres, de moins en moins nombreux, vont au bled. Mais, comme les familles de là-bas ont éclaté comme celles d'ici, il n'y a que les vieux qui séjournent à la campagne. Si jusqu'aux années 1990, les émigrés arrivaient avec la famille au grand complet, aujourd'hui, cette époque est révolue. La famille ne débarque plus en groupe. Arrivés à l'adolescence, les émigrés ne veulent plus venir en famille. S'ils sont autonomes financièrement, ils préfèrent plutôt séjourner dans leur pays d'origine avec des amis ou en couple. Et puis, cette façon de voyager en solo les exempte du rituel de leurs parents, le pèlerinage chez les siens avec les cadeaux à distribuer à tout le monde. Aujourd'hui, l'image de l'émigré avec un véhicule plein à craquer, qui lui a longtemps collé à la peau, a disparu. Les transferts d'argent ont également changé de destination. Si l'argent de la première génération était tourné vers la consommation alimentaire et vestimentaire, celui de leurs enfants va vers l'acquisition d'un bien mobilier dans leur pays d'origine, d'une affaire et d'un investissement. Ils ne le cachent pas : c'est plus facile de fructifier son argent en Algérie. Les émigrés d'aujourd'hui prennent ainsi leur revanche. Leurs parents sont partis pour des raisons économiques, mais eux reviennent pour “vacancer”, vivre comme des “princes” au bled, en affichant sa réussite par l'aspect matériel le plus ostentatoire, rivaliser avec les riches d'ici. D'où ce besoin de montrer à travers leur consommation que leur exil outre-Méditerranée a un sens, que leur niveau de vie est bien plus élevé que celui de ceux qui sont restés. Ces vacanciers ne sont pourtant plus admirés avec émerveillement, comme au début. Ils font partie du paysage durant l'été, et basta. Il n'y a plus que les harragas à s'enivrer de leurs histoires et fadaises sur là-bas où, n'arrêtent-ils pas de ressasser, ils vivent bien ! Leurs arrivées et départs ne drainent plus les foules, ils sont perçus comme des touristes qu'il faut faire casquer, d'autant qu'ils dépensent sans compter. Beaucoup de localités maritimes, à l'image de Béjaïa, les attendent chaque été car leur arrivée n'est pas que synonyme de retrouvailles et de joie, mais surtout de profits conséquents. Evidemment, les émigrés ne sont pas tous riches, mais le temps où le franc valait un dinar est révolu. Chaque été, ils sont presque un million d'Algériens établis en France, en Belgique, en Suisse, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne et au Canada à débarquer dans les ports et aéroports. Ce gisement ne demande qu'à être fructifié. Le temps de forger un vrai pont avec le pays d'origine presse d'autant que dans leur pays d'accueil, nos émigrés n'arrêtent pas de clamer leurs origines. C'est le moment de penser pour eux à un “tourisme aux racines”. Un de nos voisins a expérimenté le “tourisme solidarité” par lequel de jeunes émigrés découvrent leurs origines via un réseau d'associations et de coopératives dans le pays profond. Ce type de voyage est en lui-même, de l'avis de tous ceux qui l'ont pratiqué, un grand moment de convivialité et d'osmose entre des populations de même souche. Et, ainsi, se constitueront là-bas de solides lobbys pro-Algérie, comme l'ont fait les Irlandais, les Italiens et les Grecs aux Etats-Unis. D. B.