Quels que soient les arguments développés par les uns et les autres pour rejeter la responsabilité quant au niveau atteint par les prix de ce tubercule, cet échange d'amabilités entre les deux ministères démontre, on ne peut mieux, la situation d'expectative dans laquelle se trouve le gouvernement face à ce problème. Alors que le ministère de l'Agriculture et du développement rural tient une réunion de réflexion pour analyser les causes de la crise qui secoue la filière de la pomme de terre, celui du Commerce promet d'intensifier les contrôles sur le terrain afin de débusquer les spéculateurs. La polémique entre les deux départements ministériels sur le sujet de la flambée du prix de la pomme de terre n'est pas près de s'estomper, même si les responsables de ces deux institutions tentent, ces dernières semaines, de calmer le jeu en optant pour un discours plus réaliste, et ce, dans le but de désamorcer la crise qui ne fait que perdurer. Mais, il faut le dire, quels que soient les arguments développés par les uns et les autres pour rejeter la responsabilité quant au niveau atteint par les prix de ce tubercule, cet échange d'amabilités entre les deux ministères démontre, on ne peut mieux, la situation d'expectative dans laquelle se trouve le gouvernement face à ce problème. L'Agriculture et le Commerce se rejettent la balle D'un côté, le département de Saïd Barkat qui pointe un doigt accusateur vers les spéculateurs et autres propriétaires des chambres froides, et qui avance donc le problème de la spéculation comme étant à l'origine de la crise et, de l'autre, le département de Hachemi Djaâboub qui martèle que cette hausse des prix incombe avant tout à l'insuffisance de la production. Et dans cette guerre des arguments, le débat n'avance pas et les solutions à appliquer à la crise ne sont même pas à l'ordre du jour. Pendant ce temps, le citoyen n'a d'autre choix que de revoir à la baisse son niveau de consommation de ce tubercule, ou bien se rabattre sur d'autres légumes, mais qui s'avèrent tous aussi chers. Les spécialistes et acteurs de la filière s'accordent à dire que les prix de la pomme de terre ne connaîtront pas de baisse avant la prochaine récolte prévue en novembre. Si aucune solution d'urgence n'est apportée au problème, le citoyen continuera à payer au prix fort ce produit de très large consommation durant les trois mois à venir. Dans ce contexte, le ministre a estimé que la solution résidait dans l'importation de pas moins de 400 000 tonnes de ce produit afin d'inonder le marché et d'assurer un approvisionnement régulier pour les trois prochains mois. Mais, par quel artifice les pouvoirs publics vont-ils importer cette quantité de pomme de terre, puisque le marché est ouvert et l'Etat n'y joue que le rôle de contrôleur et de régulateur ? Importer 400 000 tonnes afin d'assurer un approvisionnement régulier Dans la situation actuelle, l'Etat ne dispose pas d'un organisme ou d'un office du type ex-OFLA, ayant les prérogatives d'intervenir en temps voulu pour influer sur le marché. C'est aux opérateurs du secteur qu'incombe, donc, la responsabilité d'importer les quantités requises. Pour le moment, les chiffres officiels parlent d'un arrivage de 25 000 tonnes au niveau des différents ports du pays. Ce qui, au demeurant, est très loin du volume d'importation envisagé. Qui arrivera, en effet, à convaincre ces opérateurs d'investir ce créneau dans un contexte d'instabilité comme celui que connaît la filière de la pomme de terre ? Et, ensuite, qui ne dit pas que le produit importé n'ira pas encore une fois directement dans les chambres froides pour alimenter la spéculation ? Le ministre du Commerce s'est contenté tout récemment d'annoncer que son département présentera incessamment devant le Conseil du gouvernement une communication sur les moyens de prise en charge de ce problème. Pour sa part, le département de l'agriculture finit par admettre qu'au-delà du phénomène spéculatif, il existe un vrai problème dans la production. Il était donc temps que l'on passe à l'action pour remédier à la situation au lieu de verser dans la polémique. Mais, qu'est-ce qui a fait que la filière de la pomme de terre, qui a connu il y a trois ans un développement incroyable, au point où des quantités ont été exportées grâce à une surabondance du produit, sans parler des prix devenus accessibles pour les petites bourses, se retrouve aujourd'hui au bas de l'échelle ? L'Algérie a réalisé en 2005 un excédent de production de 500 000 tonnes Elles sont apparemment très loin aujourd'hui les paroles du ministre de l'Agriculture Saïd Barkat qui se vantait de la présence d'un excédent de production de pomme de terre de quelque 500 000 tonnes, lors de la campagne de récolte. En effet, la production de pomme de terre a presque doublé en l'espace de cinq ans, passant de 12 760 000 tonnes en 2000 à 21 765 000 tonnes en 2005. Cependant, l'euphorie ne dura que l'espace d'une saison agricole. Drôle de situation ; après avoir enregistré un surplus de production de 500 000 tonnes, l'Algérie est contrainte d'importer 400 000 tonnes pour faire face à la crise. Logique et prévisible retour de manivelle, les agriculteurs, échaudés par l'effondrement du prix de ce produit provoqué par une offre immense, fuient, l'année suivante, la filière pour se consacrer à d'autres cultures plus rentables. Ce facteur conjugué au problème d'approvisionnement en semences sur les marchés internationaux a largement contribué à la diminution des superficies ensemencées. De 50 000 hectares en moyenne, la surface plantée est passée, cette année, à seulement 35 000 ha. Le déficit est donc évalué à environ 15 000 ha. L'arrivée tardive de l'été et les pluies enregistrées aux mois de mai et juin ont, elles aussi, contribué à l'amplification de la crise puisqu'elles ont induit au taux d'humidité inhabituel qui a provoqué l'apparition du mildiou, la maladie qui est venue à bout de près d'un tiers des superficies travaillées. Tout cela démontre au moins une chose : la filière fonctionne dans une anarchie quasi totale et devient incontrôlable. Le gouvernement ne maîtrise pas encore les mécanismes de la production, ni ceux de la régulation du marché de la pomme de terre afin d'assurer une certaine stabilité dans son fonctionnement. Une telle situation arrange, bien évidemment, les nombreux spéculateurs qui font aujourd'hui la pluie et le beau temps dans ce domaine et bien d'autres. L'Etat a financé la construction de 1 million de m3 de froid Le plus grave encore, c'est le fait que ces mêmes spéculateurs ont bénéficié à un moment ou à un autre de l'argent de l'Etat pour s'adonner aujourd'hui à des agissements qui nuisent à la population. Le Plan national de développement agricole et rural (PNDAR) a permis, en effet, la réalisation de l'équivalent de 1 million de m3 en infrastructures de froid à même de stocker jusqu'à 350 000 tonnes de pomme de terre. Ces infrastructures financées en grande partie par les pouvoirs publics sont maintenant utilisées comme une arme pour engranger les milliards et attenter même à l'équilibre de la société. Le gouvernement est donc appelé à intervenir pour mettre fin à ce jeu spéculatif, quitte à recourir à la force publique, car il y va de l'intérêt du citoyen. Sur un autre plan, des efforts doivent être fournis pour stabiliser, une bonne fois pour toutes, la filière de la pomme de terre en mettant en place une organisation de la profession pour permettre une meilleure lisibilité dans le marché. Hamid Saïdani