La plus grosse “prise”, dans le cadre de la lutte contre l'émigration clandestine, a été effectuée au mois de juillet dernier. L'ouest du pays, particulièrement Aïn Témouchent, s'est transformé en point d'embarquement vers l'Espagne. Le mois d'août a été sur ce plan calme, rassure le commandant du groupement de cette ville. La prise de juillet a peut-être servi de leçon aux passeurs et candidats à la “harraga”. En effet, en une seule opération, les gendarmes ont arrêté 56 personnes prêtes à embarquer. Un nombre supérieur, selon des informations, a réussi à prendre la fuite. Mais tout porte à croire qu'il s'agit d'une arnaque étant donné qu'une embarcation, comme celles utilisées régulièrement dans ce genre de “trafic”, des barques en général, ne peut porter autant de candidats avec bagages et carburant. Les candidats ont été appâtés par un palangrier en rade à Beni Saf qui leur a été présenté comme moyen de transport ; chacun a dû débourser 100 000 DA (10 millions de centimes) pour la traversée. Du réseau ont été arrêtées quatre personnes chargées de la collecte d 'argent du voyage et saisis 9 véhicules qui ont servi à transporter les harragas. L'organisateur est un repris de justice connu des services de sécurité, il est activement recherché. Les candidats à ce “trip” sont tous des algériens venus de différentes wilayas du pays. Les locaux, habitants de Aïn Témouchent, ne sont pas concernés. Ils représentent à peine 15% des personnes appréhendées. Mais ils se chargent surtout de l'organisation de ces voyages dits dans le jargon judiciaire “irréguliers”. Paradoxalement, et contrairement à l'idée répandue que les harragas sont des chômeurs oisifs, la majorité des 56 personnes arrêtées ont des emplois, des commerces, ce sont parfois des universitaires. En tout, seuls 12%, selon les indications fournies par la GN, n'ont pas d'emploi. Quant aux clandestins, qui, par ailleurs, ne sont pas concernés par la traversée vers l'Espagne, ce sont majoritairement des marocains, 600 ont été arrêtés à Aïn Témouchent pour séjour irrégulier. Clandestins, mais chercheurs d'emploi en Algérie. Durant les sept premiers mois de l'année en cours, les services de la gendarmerie nationale ont arrêté 243 personnes dont une grande partie à l'ouest du pays. Depuis le renforcement de la surveillance des côtes espagnoles, rive faisant face au Maroc, les réseaux d'émigration irrégulière se sont rabattus sur la côte ouest algérienne, notamment les plages de Aïn Témouchent qui ont l'avantage de la proximité avec les côtes espagnoles. Selon les statistiques, le flux ne cesse de grandir, augmentant cette activité clandestine, cela d'autant qu'il est facile d'acquérir le moyen de traverser, à l'aide d'embarcations légères et récentes achetées auprès de marins pêcheurs. Les côtes d'Oran et de Aïn Témouchent sont les plus ciblées en raison de la petite distance qui les sépare de la ville d'Alméria, destination des harragas. Le voyage peut durer, selon le poids et la puissance de l'embarcation entre 19 heures et 15 heures et selon que l'on soit accompagné ou non d'un navigateur. L'année 2006, la garde civile a intercepté 714 algériens sur les côtes espagnoles. Le mode opératoire de l'émigration irrégulière a été “décodé” par les services de lutte qui ont réussi à remonter tout le montage de l'opération. Réunis en petits groupes de dix à quinze personnes, des jeunes, âgés entre 18 et 35 ans, cotisent entre eux pour réunir le prix de l'embarcation estimé entre 40 et 80 millions de centimes. Le fournisseur est généralement un passeur qui se charge également de les doter d'un GPS ou d'une boussole de navigation avec précision des coordonnées du lieu de débarquement en terre espagnole. Cabo de Gata est le point le plus relevé sur les GPS. Une fois le matériel acquis, généralement auprès des pêcheurs de la région, les émigrants sont conduits par voiture sur les plages à des endroits isolés et non surveillés. Les effets vestimentaires, les provisions et les jerricans chargés, le voyage commence par une première étape d'environ deux heures de navigation jusqu'au couloir de navigation des navires. La seconde consiste à mettre le cap sur les criques ou plages de Cabo de Gata ou San José. Le choix de ce couloir est dicté par le fait que, comme toute la côte sud-est espagnole, qui ne fait pas partie du programme de surveillance des frontières, l'Espagne ayant tout concentré sur le détroit de Gibraltar pour les clandestins en provenance du Maroc et qui sont plus nombreux et de diverses nationalités. Cette activité fort rémunératrice n'a pas tardé à attirer également certains chalutiers espagnols qui s'adonnent en plus de la pêche au trafic d'immigrants. Selon des informations, pour un million à 18 millions, des chalutiers mènent des “clandos” jusqu'aux côtes espagnoles. Sans un navigateur, il est quasiment impossible d'atteindre les côtes espagnoles, selon les spécialistes. D'où l'affirmation de l'implication de marins pêcheurs. La précision des horaires “d'embarcation”, date et heure, plaide pour cette hypothèse au demeurant confirmée par des témoignages de clandestins algériens interceptés en Espagne. De son côté, pour renforcer ses moyens de lutte contre ce trafic, la GN a décidé d'installer 20 postes fixes de surveillance des 80 km de côte de Aïn Témouchent avec 500 éléments dont une majorité de gardes communaux. En été, l'effectif est renforcé par 400 autres gendarmes étant donné que c'est la période où la mer est souvent calme donc propice aux harragas. Cette côte est également surveillée par les hélicoptères. Il est, par ailleurs, envisagé la création de brigades maritimes pour un travail d'appoint et complémentaire à celui des garde-côtes, dont les actions se situent en haute mer. Mais le phénomène a pris une telle ampleur qu'un seul service de lutte ne saurait être suffisamment efficace à lui tout seul, cela d'autant qu'il est désormais avéré qu'il est le fait de réseaux bien organisés avec des ramifications dans les deux rives et des complicités même en haute mer. D. B.