Samir, fils de gendarme, avait 14 ans quand son prof de maths, un islamiste radical, lui lance cette menace : “Nous allons bientôt prendre le pouvoir et nous allons vous chasser de la caserne où vous habitez.” C'était en septembre 1992 et les faits ont eu lieu dans un CEM à Boudouaou. La caserne en question n'était autre qu'un groupe de logements de fonction pour les gendarmes. Samir, qui habitait avec ses parents dans ces logements, a été surpris l'année dernière lorsqu'il a appris que cet enseignant, connu pour ses idées intégristes, exerce toujours dans le secteur de l'éducation. Un autre prof, réputé pour avoir les mêmes idées, et qui en plus était chef du bureau local du FIS dissous, enseigne toujours. Ses élèves se souviennent que les cours dispensés par ce prof n'étaient en fait que des prêches virulents contre l'Etat et ses institutions. Un enseignant à Zemmouri, qui n'a jamais caché ses sentiments intégristes, continue d'enseigner dans le primaire au même titre qu'un autre éducateur exerçant dans le cycle secondaire à Dellys épousant les mêmes idées et qui est toujours en poste, affirment des enseignants. Dans la daïra de Bordj Ménaïel, on parle d'un enseignant repenti qui aurait repris le travail après trois années passées dans le maquis. Dans la localité de Réghaïa, un enseignant avait deux fils enrôlés dans les rangs des groupes terroristes et les parents d'élèves se sont toujours interrogés comment ce prof, qui n'a pu convaincre ses propres fils, pourra-t-il le faire avec d'autres élèves. On ne peut énumérer tous les cas relevés pour cette catégorie d'enseignants qui ne se sont jamais privés d'afficher leur couleur politique où les cas de certains enseignants, heureusement peu nombreux, qui ont pris carrément les armes, comme cet enseignant du primaire exerçant à Thenia qui sera abattu par les forces de sécurité à Bachdjarah à Alger en 1995, où le maire de Ammal (FIS) lui aussi enseignant qui deviendra “émir” avant d'être abattu par les forces de sécurité en 1994. Mais il existe une autre catégorie d'enseignants qui agit en sous-marin pour faire passer ses messages aux élèves. Ces éducateurs profitent du programme élaboré par le ministère de l'Education nationale pour déborder sur d'autres thèmes fondamentalement intégristes qui n'ont rien à envier à ceux dispensés dans les medersa pakistanaises. Il est ainsi des cours concernant le “djihad” qui donnent l'occasion à certains éducateurs pour développer à leur manière la religion musulmane dans toute sa dimension. Ainsi ces enseignants ne se sont jamais privés de citer les exemples du djihad en Afghanistan, la Tchétchénie ou l'Irak en passant sous silence les atrocités commises en Algérie. Même si on a changé, l'année dernière, l'intitulé du cours en remplaçant l'expression “djihad” par “nachr eddawaâ el islamia”, le résultat est le même. Car ces enseignants ne font que saisir la moindre occasion pour passer leurs propres “fetwas” et leur message radical semblables à ceux d'Azawahiri, de Ben Laden ou de Droukdel. La situation dans les zones rurales est plus alarmante, raconte un éducateur à Bouira, qui précise que certains enseignants obligent les filles à mettre le hidjab. Et quand ils ne le disent pas ouvertement, ils font passer le message en douceur lors de la présentation du cours. D'autres ne cachent pas leurs sentiments intégristes devant les élèves crédules en développant des fetwas qui prônent plusieurs interdits comme celle qui consiste à ne pas visiter les cimetières, écouter de la musique ou dessiner un portrait. De nombreux éducateurs interrogés reconnaissent l'existence de ces cas mais on ne peut mettre tout le monde dans le même sac puisque la grande majorité des enseignants fait convenablement son travail. Comme il y a lieu de souligner les sacrifices consentis par la famille de l'éducation, notamment durant la décennie rouge, à l'exemple de l'horrible massacre des enseignants de Bel- Abbès. Les écoles coraniques n'échappent pas à la règle tout comme certaines mosquées dont les imams continuent à développer des prêches virulents. Et certains d'entre eux ne se privent pas chaque vendredi de “saluer la révolution en Afghanistan et en Tchétchénie” comme c'est le cas à Boudouaou, la semaine dernière, où un imam de cette commune tout en passant sous silence les atrocités de Batna et Dellys faisait les louanges des “combattants de Palestine, d'Afghanistan, de Tchétchénie et en Irak”. L'imam de Kouba fait lui aussi partie de cette catégorie. Sa mosquée a été d'ailleurs fréquentée par les kamikazes de Dellys, du Palais du gouvernement et de Dar El Beïda. Ainsi un enfant, qui a la malchance d'avoir eu comme enseignant un “intégriste” et qui, le soir, va faire la prière dans la mosquée où l'imam est lui aussi intégriste, a toutes les chances de devenir lui-même intégriste et peut-être djihadiste ou même kamikaze. Certes, on est loin des medersas pakistanaises ou des écoles islamiques indonésiennes dont certaines ont fabriqué les bombes humaines ayant tué des centaines de personnes. Mais devant la multiplication des attentats commis par des jeunes âgés de moins de 18 ans comme c'est le cas du collégien Nabil, l'inquiétude est légitime. Un membre des services de sécurité nous a affirmé récemment qu'un kamikaze est le produit de trois facteurs : “une école intégriste, une mosquée intégriste et des parents je-m'en-foutistes”. Le ministre de l'Education nationale, Boubekeur Benbouzid, avait affirmé l'année dernière que “l'enseignement de l'éducation islamique ne doit pas être l'apanage d'un groupe ou d'un parti et nous ne devons pas la laisser entre les mains de ceux qui peuvent la dévier. Nous devons être un rempart contre la déviation et l'intégrisme”, a-t-il précisé. Les choses se présentent malheureusement autrement. M. T.